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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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mère, naissaient en province. Claude s’en trouvait confirmé dans la certitude que le progrès ne s’arrête pas, s’il marque parfois des étapes. Les gens à œillères, certains commerçants, les acquéreurs de biens nationaux, pouvaient désirer que l’on en restât où ils en étaient avec leurs avantages tout neufs. Ils ne voulaient pas risquer de compromettre ces avantages. Satisfaits, ils estimaient que la nation entière devait l’être avec eux. En vérité, la bourgeoisie, triomphant avec le Triumvirat, les Feuillants, acclamait le Roi dont elle avait fait un monarque bourgeois. Elle ne se rendait pas compte qu’elle restituait tous leurs espoirs aux ultra-royalistes. Ils ne se contenteraient pas, eux, de voir s’arrêter la Révolution. Il jugeait juste, ce peu sympathique mais perspicace Mallet du Pan qui publiait, aujourd’hui-même : « Le moment arrivera où la France sera partagée entre les républicains et les royalistes exagérés. »
    Bon, tout cela ne le concernait plus, lui, Claude, qu’en tant que simple citoyen. Il n’aurait plus le pouvoir d’influer sur les événements. Avec mélancolie, il se leva de la banquette où il ne reviendrait jamais s’asseoir aux côtés de Robespierre et de Pétion. Avec eux, il se dirigea vers le grand couloir. Comme il était fort encombré, ils sortirent par le passage des Tuileries. Il y avait beaucoup de monde dans le jardin aux frondaisons roussissantes. Ils traversaient la terrasse, lorsque se produisit un mouvement de peuple vers eux. Des gens accouraient en criant : « Les voilà ! Ils sont là !… Vive Pétion ! Vive Robespierre ! » Ils furent entourés d’une petite foule qui bousculait Claude pour approcher les deux illustres, les toucher, leur mettre sur la tête des couronnes de feuillage. Des hommes les serraient dans leurs bras, une femme leur tendait son enfant. Dans l’air gris et froid montaient les acclamations : « Vive la nation ! Vive la liberté ! Vivent nos législateurs incorruptibles ! » Aiguillonné par une sourde pointe, Claude regardait le blond Pétion se gonfler comme un paon, et Robespierre, jouissant lui aussi de cet hommage, mais toujours craintif, essayer, avec sa mine de chat, de calmer l’ardeur populaire. « De la dignité, mes amis ! Voyons, de la dignité ! » disait-il. On ne l’écoutait pas, on criait de plus belle « Vive la liberté ! Vivent les incorruptibles ! Vivent les députés vierges ! » Ils se dérobèrent enfin par la ruelle de l’Orangerie, sautèrent dans un fiacre. On en détela les chevaux pour le tirer à bras d’hommes.
    Pendant ce temps, Lise, sortie par la « carrière », remontait vers le Carrousel avec sa belle-sœur et son beau-frère Dubon. À tous les coins de rues se répétait une affiche blanche où le Roi annonçait au bon peuple : « Le terme de la Révolution est arrivé ; que la nation reprenne son heureux caractère. » Son heureux caractère. « Le pauvre homme ! » fit Dubon qui se rappelait l’atroce à-propos de ces filles dansant la ronde en agitant au bout d’une pique le cœur violâtre de Launay, et chantant : « Il n’est point de fête quand le cœur n’y est pas ! » Un heureux naturel !
    Lise, elle, était toute à sa secrète joie : Claude voulait assister à quelques séances de la nouvelle Assemblée, terminer ses travaux de correspondance, aux Jacobins. Encore quelques jours de patience avant le départ pour Limoges. Ce fut dans ces dispositions qu’elle déplia joyeusement le message de Bernard. La nouvelle la frappa d’un coup en plein cœur.
    Lorsque Claude rentra peu après, il la trouva jetée en travers de leur lit. « Oh !… oh ! non ! » hoquetait-elle à travers ses larmes. « Non, c’en est trop ! C’en est trop ! » Il aperçut la lettre, y donna un coup d’œil, et comprit. Il était dans une mauvaise heure, plein de pensées moroses, assez amer. Il lui fallut faire un violent effort pour ne point céder à l’agacement devant cette douleur. Il en fut récompensé par l’élan avec lequel Lise se jeta dans ses bras dès qu’il l’eut touchée.
    « Mon ami ! gémit-elle en se serrant sur sa poitrine. Oh ! mon ami ! Je suis trop malheureuse !
    — Oui, je sais. J’ai lu », murmura-t-il, bouleversé par la spontanéité de sa femme cherchant d’instinct en lui son refuge et son réconfort, par cette absolue confiance dans sa générosité, cette confiance qui ne

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