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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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entendu, les parents de Claude, familiers de toute cette petite société, qui la réunissaient parfois chez eux, à la Manufacture royale de porcelaine, dans le faubourg de Paris.
    La future réunion des États généraux animait beaucoup ces messieurs. Ils agitaient des projets de « constitution fondamentale », discutaient de « doléances » à inscrire dans certains cahiers qui seraient présentés au Roi. Tout cela ne disait pas grand-chose à Lise ; elle s’intéressait aux personnes plus qu’aux idées. C’était de son âge. Elle avait été frappée tout de suite par la considération dont Claude disposait dans cette compagnie, comme chez les Reilhac, à Thias. Rien de surprenant à cela, certes. Son mari était un esprit remarquable, elle le savait. Même des hommes mûrs et réfléchis, un Étienne Pinchaud, un Nicaut – le « Vénérable » – l’écoutaient avec faveur. Quant à M. Mounier, il cachait à peine une candide admiration pour son fils. Montaudon et le procureur Pierre Dumas, tout en discutant parfois pied à pied avec Claude, n’en admettaient pas moins une prééminence, dont il ne tirait d’ailleurs, apparemment, nulle vanité.
    C’était généralement après une discussion vive qu’il fallait s’attendre à voir en lui l’époux se manifester, une fois de retour à la maison ou une fois les hôtes partis, et user de ses droits – oh ! toujours avec la plus grande courtoisie, en demandant s’il pouvait se permettre de venir.
    Ils faisaient chambre à part. Hormis ces moments où Lise se prêtait à lui dans les ténèbres – et jusque dans ces étreintes acceptées par devoir –, il n’existait guère d’intimité entre eux. Ils se voyaient aux repas, rarement au déjeuner, car, avec ce froid, elle le prenait dans son lit pendant que la servante allumait les feux ; mais à dix heures, pour dîner, puis à cinq, à la fin de la relevée, en soupant. Tout le reste du jour, il était soit au Présidial pour plaider ou suivre une cause, soit dans son cabinet, au-dessous de l’appartement, occupé avec des clients ou en train de travailler. Après le souper, s’ils ne recevaient point ni ne sortaient, il redescendait encore. Quelquefois, réveillée par le départ nocturne d’une diligence ou d’un fourgon des Messageries qui faisait retentir toute la place, Lise entendait son mari, rappelé à la notion de l’heure par ce vacarme, monter précautionneusement.
    Cette délicatesse, ce pas léger dans la nuit la touchaient. Un moment, elle se prenait de curiosité amicale pour ce garçon qui menait sa vie à la fois si près et si loin d’elle, cet homme avec lequel elle avait les plus charnels contacts et qu’elle ne connaissait pas. Bref intérêt. En vérité, elle ne souhaitait pas de le connaître. Elle avait de l’admiration et du respect pour son esprit, de la gratitude pour la façon dont il la traitait, de l’estime pour son caractère. Ces sentiments n’allaient pas plus loin que de le lui faire supporter sans déplaisir. Quelque chose restait comme bloqué, comme gelé en elle. Le poids en pesait sur son âme. Ses capacités affectives étaient, pour toujours semblait-il, étouffées.
    Pourtant le milieu dans lequel Claude l’avait transplantée exerçait sur elle une action réchauffante. Sa belle-mère, son beau-père, un peu plus jeunes et beaucoup plus démonstratifs que ses propres parents, lui témoignaient un attachement très spontané. Elle avait trouvé une charmante compagne dans la brune et vive M me  Dumas – Jeanne – et deux autres relations très agréables dans les épouses des frères Barbou. Enfin, elle se sentait en sympathie avec ces gens plus proches d’elle, de sa simplicité, que les familiers de l’hôtel Naurissane, non seulement frivoles, estimait-elle, mais naturellement égoïstes. Au contraire, les amis de Claude montraient tous une conscience, une dignité, une générosité frappantes – même le bon vivant Montaudon, assez porté d’autre part au badinage. Leurs discussions, qu’elle jugeait d’abord oiseuses, prenaient peu à peu du réalisme pour elle. Ce n’était plus simples remuements d’idées abstraites. Elle commençait à comprendre qu’ils essayaient de définir pratiquement un monde où il y aurait plus de justice, plus d’aise pour tous. Sa bonté naturelle ne pouvait pas ne point l’intéresser à un tel désir.
    Montaudon écrivait dans La Feuille hebdomadaire de Limoges. Il amenait

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