L'Amour Et Le Temps
attendre une convocation précise. Quant à vous emmener avec moi, je ne le pourrai pas tout d’abord, je crois. Ce serait trop hasardé. Il conviendra de voir comment se présenteront les choses, à Versailles. Sans doute il y aurait moyen de vous loger chez ma sœur, à Paris, en attendant. Je craindrais cependant que vous n’y trouviez pas toutes vos aises. »
Rassurée sur ce point, elle décida d’écrire. Le surlendemain, Bernard découvrit dans le courrier de la boutique une lettre pour lui. Il rompit les pains à cacheter, la déplia, surpris, car il n’en connaissait pas l’écriture. Il comprit aussitôt. Il n’y avait pas de signature. Point n’en était besoin, ces mots pressants en disaient assez.
« Bernard, je vous en conjure, venez me retrouver à Thias, dimanche, à l’étang, vers une heure de relevée. Même si vous me méprisez pour ce que j’ai fait malgré moi, venez, je vous en prie, en souvenir de ce que nous avons été l’un pour l’autre. Il faut absolument que nous parlions. »
Une dizaine de jours plus tôt, une telle lettre l’eût trouvé cuirassé contre cet appel au souvenir. Il n’ignorait plus qu’il s’était nourri d’illusions en se peignant un avenir avec Babet. Il ne lui en voulait pas de l’avoir détrompé. En refusant le mariage elle s’était conduite loyalement : « T’épouser ! Mon cœur, je suis trop ton amie pour te jouer un si mauvais tour. » Il l’estimait pour une réponse si franche, pour l’honnêteté d’un pareil refus. Seulement, elle avouait par là même qu’elle ne songeait pas à être fidèle, que leurs amours, si elles ne manquaient ni de feu ni de tendresse, restaient néanmoins sans amour profond et qu’elle ne leur imaginait pas de durée. Oui, parbleu, comment eût-elle changé tout à coup ! Elle n’était point faite pour aimer mais pour courir les plaisirs. Le goût de la diversité, de l’aventure la pousserait toujours de bras en bras, non pas vraiment, comme elle le disait, le besoin de gagner, car elle n’était pas intéressée par nature. Quand Léonarde avait voulu lui faire, en remerciement pour ses gentils services, un beau cadeau de linge, ne l’avait-elle pas repoussé presque comme une offense. De lui-même, Bernard, elle acceptait tout juste des babioles. Ses envies de luxe, elle les réservait pour les amants riches, qu’elle n’avait pas – ou peu longtemps – quittés, il en possédait la quasi-certitude depuis une dizaine de jours. S’il ne l’en désirait pas moins, en revanche elle ne remplissait plus son cœur, lequel déjà n’était pas resté insensible au bouleversement, si évidemment sincère, de Lise, dans l’escalier du collège, l’avant-veille. Et maintenant, ce pathétique appel !
Bernard se roidissait en vain contre l’émotion. Les mots : « Dimanche, à l’étang » faisaient lever dans sa mémoire des suites d’images puissantes. Quelle folie ! Qu’iraient-ils ranimer là-bas ? des regrets, des souffrances. Cette tristesse ne laissait pourtant pas de le troubler. Partagé entre l’instinct de la joie et les étranges charmes de la mélancolie, il contemplait ce billet dont l’écriture, avec son élégance simple, sa sveltesse, évoquait si exactement Lise. Il revoyait ses mains, ses doigts naguère tant aimés. Il croyait l’entendre elle-même lui dire à l’oreille ces phrases suppliantes, pleines d’amour malheureux. De hauts talons claquèrent sur l’escalier, au fond de la boutique. Léonarde descendait. Promptement, Bernard escamota la lettre, et ce geste à peine fait le surprit. Pour la première fois de son existence, il cachait quelque chose à sa sœur.
Lise lui avait fixé ce rendez-vous en sachant qu’elle irait au village dimanche. Le soir des élections, avant de partir, M. Dupré avait invité ses deux gendres. Les parents de Claude viendraient aussi. Au milieu de tout ce monde, elle n’aurait pas grand-peine à s’échapper un moment.
Elle y réussit, en effet, après le repas, tandis que les hommes restaient dans la salle à discuter en humant leur eau-de-vie. Il lui fallut auparavant s’expliquer avec Thérèse.
« Tu vas rejoindre ce petit Delmay, j’en suis sûre, déclara celle-ci qui la suivait à travers le verger parsemé de jonquilles. Il ne se marie point, paraît-il. J’avais mal compris, j’ai questionné Babet Sage. Tu as découvert cela lundi, n’est-ce pas ?
— Eh bien oui ! reconnut Lise. Oui, je
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