L'Amour Et Le Temps
créature tout une. La bonté, la sensibilité n’excluent point certains vices.
Ceux-ci devinrent inimaginables à Claude quand il vit la Reine qu’il soupçonnait encore philosophiquement. Devant elle, on ne pouvait penser à rien que de noble. La majesté dont manquait son époux, elle la possédait au plus haut point. Ce n’était pas un air, c’était quelque chose de profondément inhérent à sa personne, comme sa beauté. Non moins simplement mise que le Roi, elle portait une robe de percale unie, dans laquelle sa grâce altière rayonnait. Saisi par cette lumière de jeunesse – fraîcheur du teint, de la bouche, du regard très bleu – persistante dans une maturité qui donnait tout son éclat au prestige royal, Claude contemplait sa souveraine avec un grand trouble de l’âme, et son cœur amoureux substituait dans la Reine, à la femme, une autre femme dont la même noblesse simple, capable elle aussi de fierté parfois impérieuse voire de dédain, commandait le même respect et intimidait de la même façon. Une femme qui avait les mêmes cheveux blonds sous la poudre, les mêmes yeux bleus, le même cou long, flexible, la même pureté. Une femme non moins prestigieuse, parée non de la couronne royale mais des myrtes de l’amour, et désormais non moins inaccessible que l’était la Reine au rêve d’un roturier.
Claude quitta le château, pénétré de mélancolie. Il entendit à peine son beau-frère Louis dire à leur collègue Legrand :
« Les calomnies répandues sur le ménage de Sa Majesté sont abominables. La Reine, c’est évident, mérite tout notre respect.
— Je n’en ai jamais douté, monsieur, répondit calmement le député de Châteauroux. »
Puis ce fut la voix de Montaudon : « Qu’as-tu, Claude ? Tu n’es pas bien ? dit-il en lui touchant le bras.
— Moi ? Mais si. Un peu fatigué, peut-être. »
Il avait jusqu’ici assumé avec résolution ce qu’il estimait être son devoir envers Lise, allant jusqu’à s’interdire, pour la laisser entièrement libre, de lui faire savoir comme il se sentait amputé d’elle. Soudain, ce courage s’effondrait, le livrant à une faiblesse qu’il n’avait jamais connue en vingt-huit ans d’existence, même lorsque sa femme s’était pratiquement séparée de lui. Du moins restait-elle là, il la voyait, ils vivaient malgré tout ensemble, il gardait beaucoup d’espoir en elle. Ce soir, quelle détresse tout à coup ! Il n’eût jamais imaginé pareil abattement. C’était donc cela, le mal d’amour !… Une lâcheté. Mais il ne pouvait rien contre cet affaissement de son âme tragiquement lasse, où le souci des temps, la volonté de régénérer le royaume et de créer un ordre nouveau, le désir de jouer un rôle s’en allaient à vau l’eau. Il n’y avait plus en lui que le besoin de retrouver Lise, l’envie puérile de tout abandonner, de partir, de retourner là-bas la disputer à Bernard.
Ce fut en pensant à celui-ci qu’il se ressaisit un peu. Bernard était un garçon plein de qualités, plus vertueux, plus pur que lui-même. Ce dont il souffrait à présent, Bernard en avait souffert avant lui, plus cruellement encore, et Lise aussi, par sa faute à lui, Claude. Il payait justement cette faute. Il n’avait pas le droit d’aller combattre un bonheur si douloureusement mérité.
Rentré à l’hôtel du Renard, en soupant d’une façon toute machinale à la table de l’hôte, l’esprit ailleurs, il vit distraitement Montaudon échanger des politesses avec quatre nouveaux venus. Deux d’entre eux avaient l’air de paysans endimanchés, le troisième d’un bon bourgeois assez lourdaud. Le quatrième enfin, placé en face de Claude, était un jeune homme guère plus âgé que lui, poudré à blanc, petit, mince dans un pauvre habit noir. Un avocat, assurément. Il se nomma, mais on entendit mal son nom – Maximilien de Lobélière ou Lobépière –, et dit qu’il représentait avec ses trois collègues les États d’Artois. Montaudon, liant et loquace, le fit parler de la situation dans cette province, puis, au sortir de table, proposa obligeamment : « Vous plairait-il de venir passer un moment dans un café du centre ? Mon ami Mounier-Dupré et moi avons pris l’usage d’y retrouver quelques collègues pendant nos trop longues heures oisives. C’est un moyen de se connaître. »
Claude ne se sentait ce soir aucun goût d’aller au café Amaury. Il se retira dans la
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