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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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chambre qu’il partageait encore avec René. Le front entre les mains, paupières closes, il voyait s’esquisser sur le rideau ainsi tiré devant ses yeux les traits tantôt succèssifs, tantôt confondus, de la Reine et de Lise. Encore une similitude entre ces deux femmes : elles avaient l’une et l’autre fait un mariage d’indifférence. Le dégoût éprouvé certainement par la Dauphine, dont le temps de jeune épousée s’était passé, en fait de plaisir, à soigner les indigestions d’un mari glouton, répondait à la répugnance de Lise se livrant par contrainte. Comment n’eussent-elles point toutes deux obéi à la nature en cherchant autre part le bonheur dont tout être a besoin !
    Et cependant Marie-Antoinette, d’après les témoignages assurément les mieux fondés, semblait attachée tendrement au Roi. Si elle lui avait été infidèle, il avait su la reprendre, sans doute par sa bonhomie, sa patience, son indulgence. N’était-ce pas là le droit d’un époux ? Un droit nullement tyrannique, qui ne blessait en rien la justice ni la liberté, ne contraignait personne et laissait toute latitude de choix. En quoi serait-il déloyal envers Bernard ou attentatoire au libre arbitre de Lise d’expliquer à celle-ci le tourment que son mari connaissait loin d’elle ? « Ne m’a-t-elle pas dit : Écrivez-moi ce que vous pensez » ? Savoir ne l’empêcherait point de suivre son penchant ni de divorcer quand cela deviendrait possible. Si elle voulait qu’il en fût ainsi, il travaillerait à son bonheur comme il l’avait promis.
    Sa lassitude coulait de lui tandis qu’une chaleur lui montait du cœur à la tête. Hésitant encore, il ouvrit la belle écritoire de voyage, en cuir rouge, dont sa mère lui avait fait cadeau. Il aviva, songeur, avec le canif prévu pour cet usage le biseau d’une plume. Puis vivement il saisit une feuille. Sur la table de bois blanc un peu boiteuse, il se mit à écrire, dans le crépuscule qui rougissait des lambeaux de nuages.

XI
    M. Necker n’avait pas dispensé à ses visiteurs de l’eau bénite de Cour. C’était bien vrai cette fois, les gazettes l’annoncèrent : les États s’ouvriraient dès mardi. D’abord aurait lieu, lundi 4 mai, une procession solennelle, afin d’appeler sur leurs travaux les bénédictions célestes : ce qui accentuait l’irritation, l’ironie, de Montaudon et nombre d’autres, convaincus que le Ciel n’avait rien à voir dans des affaires relevant de la seule Raison. On allait encore gaspiller une journée en momeries, quand on avait déjà perdu beaucoup trop de temps. Quelle accumulation de sottises – criminelles, car un peu partout dans le royaume éclataient des séditions souvent sanglantes – de maladresses humiliantes et de puérilités !
    Ce fameux ciel, tout d’abord ne sembla guère vouloir favoriser ladite procession. Le dimanche avait été bruineux. Au milieu de la nuit suivante, tandis que Montaudon ronflait tranquillement, Claude, se tournant et se retournant entre ses draps, entendit une averse crépiter contre la fenêtre. Cela n’empêcha pas les Parisiens d’envahir Versailles dès l’aube. Dans le gris du petit jour où la lumière qui se levait, blafarde, éveillait partout des reflets mouillés, les véhicules de toute espèce, jusqu’à des charrettes transportant les dames de la Halle, déversaient leurs chargements d’ombres bruyantes sur la place. Au fond, le château profilait derrière les grilles sa silhouette voilée par des vapeurs. Les voitures reprenaient aussitôt la direction de Paris, pour aller chercher de nouveaux curieux. Déjà, la foule commençait à border les rues, de l’église Notre-Dame à la cathédrale Saint-Louis.
    Le temps se nettoyait à mesure que montait le jour. Le soleil lança par-dessus les maisons de grands rayons obliques. Dissipant la brume, il sortit enfin dans un ciel très pâle qui bleuissait peu à peu. L’air s’échauffait, séchant les tapisseries de la Couronne dont on avait, la veille, décoré les façades pour le passage du cortège, les drapeaux blancs et dorés, les oriflammes bleu clair comme le ruban du Saint-Esprit, les gros pavés de silex blond. Les fenêtres, louées à des prix exorbitants, se garnirent. Des gamins, dont beaucoup, en bandes piaillardes, arrivaient de Paris à pied, se juchaient sur les toits. Au-dessus, inquiets de ce remue-ménage, les martinets nouveaux venus tourbillonnaient en criant.
    Quand

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