Lancelot du Lac
lande. Personne n’en sait davantage : les merveilles demeurent cachées à tous jusqu’à ce que survienne celui qui les anéantira. Mais quand viendra donc ce jour ? À force d’espérer en vain, on perd toute confiance.
— Et si moi-même, je tentais l’épreuve ? Si j’étais celui que tu attends ? » dit Lancelot. Son hôte le regarda attentivement. « Qui es-tu ? Quel est ton nom ? – Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc. » En entendant ce nom, le vieillard tressaillit de joie et appela ses enfants. « Mes fils, dit-il, regardez le plus grand, le meilleur de tous les chevaliers qui ont vécu et qui vivent encore de par le monde ! Celui-ci pourrait bien mettre fin aux merveilles de Rigomer, s’il était possible d’y arriver par des prouesses. Mais il faut d’autres dons, et personne ne saurait en posséder seulement la moitié. Non, jamais ne se trouvera en un seul homme tout ce qu’on attend de celui dont je vous parle ! Hélas ! combien de temps faudra-t-il attendre encore ?
— Si tu me le permets, dit simplement Lancelot, j’irai à Rigomer et je tenterai l’épreuve. – Mais c’est pure folie, s’écria le vieillard. Cher hôte, si tu y vas, tu risques d’y perdre la vie. Tu aimes trop les armes, tu es un chevalier si vaillant, si hardi que tu ne manquerais pas d’y trouver la prison ou la mort, à tort ou à raison. » Lancelot promit alors d’éviter de porter les armes dès qu’il serait à Rigomer. Mais aucune des paroles du vieillard ne put venir à bout de sa détermination. « Demeure au moins une semaine parmi nous, dirent encore les fils de son hôte. On ferrera ton cheval, tu te baigneras, tu te reposeras. – C’est impossible, dit Lancelot, il faut que dans deux jours je sois à Rigomer (54) . »
11
Les Merveilles de Rigomer
Lancelot poursuivait sa course folle à travers bois et landes. Vers l’heure de none, alors qu’il longeait une rivière, il rencontra un chevalier qui s’en allait, tout seul, pensif, au petit trot de sa monture. Tous deux se saluèrent, mais Lancelot qui l’avait dépassé, s’arrêta soudain et revint en arrière. « Seigneur, dit-il à l’autre chevalier, puis-je te poser une question ? – Volontiers, seigneur, pourvu qu’il soit en mon pouvoir d’y répondre. – Depuis des semaines, j’entends parler de Rigomer et de ses merveilles. Pour l’amour de Dieu, si tu sais quelque chose à ce sujet, fais-m’en part, je t’en prie.
— Ce que je peux te dire, c’est que Rigomer est à peine à une journée d’ici avec un bon cheval, répondit le chevalier. La route que tu suis y mène tout droit. – Dis-moi encore : le pays est-il en paix ou en guerre ? Un chevalier peut-il s’y rendre librement de jour comme de nuit ?
— Certes, mais seulement jusqu’au pont. Néanmoins, j’ajoute qu’il faut avoir un bon sauf-conduit, ce qui ne semble pas ton cas. – Un sauf-conduit ? Non, je n’en ai pas. – Si, reprit l’autre, mais je me demande s’il suffit.
— Que veux-tu dire ? – Tu as des armes brillantes, un valeureux destrier et un corps vaillant de chevalier, cela constitue un sauf-conduit. Reste à savoir s’il est valable là-bas. En tout cas, laisse-moi te le redire, il ne vaut que jusqu’au pont. Pour le franchir, il faut être bien brave et bien fort. »
Lancelot insista : « Cher seigneur, que peut-il arriver à celui qui le traverse ? – L’audacieux qui entreprendrait cette folie tomberait dans la pire disgrâce, et qui durerait toute sa vie. Toi qui parais si plein de vie, quelle tristesse de te voir vaincu ou mort ! Ce qui t’attend, c’est la mort, ou tout au moins la prison, la défaite et de terribles blessures. Personne n’y pourra rien. – J’ai l’impression que tu veux m’éprouver, dit Lancelot. As-tu encore quelque autre conseil à me donner ? – Oui, celui-ci : descends de ton cheval, fais un ballot de tes armes et porte-les derrière toi. Quand tu auras fait ainsi deux petites étapes, tu seras parfaitement tranquille. – Mais, si d’ici là quelqu’un me cherche querelle ? – Par Dieu tout-puissant, cela arrivera sûrement. Alors tu devras te battre, et si tu perds, il te faudra abandonner ton équipement et t’en aller tout nu, à moins que tu ne supplies qu’on te le rende. Mais quelle honte pour un chevalier ! Celui qui s’abaisse ainsi ne peut s’attendre à peser davantage qu’une feuille de lierre. Ce n’est plus là
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