Lancelot du Lac
l’intérieur de cette forteresse il y a de belles salles décorées de splendides peintures, un sol pavé de marbre, des murs de pierres rouges et blanches, richement travaillées, avec des mosaïques incrustées d’or. L’enchanteur Iweret est un homme très habile qui a fait alliance avec les diables et qui terrorise tous les habitants du pays. » Le jeune homme réfléchit un instant. « Cela ne me fait pas peur, dit-il encore, mais qui est cet Iweret et quelle est son origine ? »
L’ermite répondit : « Je vais te le dire brièvement, surtout pour te prouver qu’il ne serait pas bon pour toi de t’attaquer à lui. Le seigneur Iweret descend d’une noble famille. C’est un très puissant prince. Il possède trois royaumes qu’il a acquis par héritage, et il ne viendrait l’idée à personne de les lui contester. Il n’a qu’un enfant, une fille qui porte le nom d’Iblis (23) . C’est une très noble jeune fille et je peux t’assurer que je n’ai jamais entendu dire qu’il y eût une fille plus belle. Le seigneur Iweret a fait savoir que tous ceux qui convoiteraient sa fille devraient s’opposer à lui dans un combat à mort, sous un tilleul, dans le bois de Behforêt.
« Sous ce tilleul est une fontaine dont les eaux demeurent toujours froides même pendant les grandes chaleurs de l’été, et son eau s’écoule dans un bassin de marbre fin au bord duquel se dressent des statues de bronze et d’argent. Le tilleul reste vert toute l’année et nulle tempête ne peut en arracher les feuilles. Suspendue à cet arbre, se trouve une cymbale de bronze doré sur laquelle ceux qui désirent la fille et prouver leur valeur doivent frapper. Lorsque cette cymbale a été frappée trois fois, le seigneur Iweret survient, entièrement équipé pour le combat, et se mesure avec l’imprudent qui a osé violer le silence. Crois-moi, celui qui désire vraiment se mesurer à Iweret doit avoir beaucoup de chance, car l’année dernière et au début de celle-ci, le seigneur Iweret a tué de nombreux prétendants qui ont été enterrés là, sous le tilleul, à l’endroit où la mort les a frappés. – Où est donc cette fontaine ? demanda le fils du roi Ban. – Non loin d’ici, répondit l’ermite, même pas à un mile, en suivant ce sentier qui y mène tout droit. Mais si tu veux mon conseil, pars tout de suite dans la direction inverse et ne t’arrête pas avant d’avoir regagné ta propre demeure. En tout cas, sois sûr d’une chose : si tu persistes dans ton projet et si le seigneur Iweret te tue, tu n’auras jamais ma prière ni ma bénédiction. – Très bien, saint homme, dit le jeune homme. Tu as sans doute raison et j’implore ton pardon, car je ne vais pas suivre ton conseil. Écoute à ton tour mes paroles : quoi qu’il puisse m’arriver, je combattrai le valeureux Iweret, même si je dois en mourir. » L’ermite ne répondit rien, sachant bien que toute autre parole serait inutile. Il ne put quand même s’empêcher d’admirer la détermination du jeune étranger, et il lui donna sa bénédiction. Le fils du roi Ban se reposa alors toute la nuit dans la hutte et le matin, à l’aube, il prit congé de son hôte et se dirigea vers Behforêt.
Cette forêt était verte comme l’herbe au printemps et les feuilles ne jaunissaient jamais. Il y avait beaucoup d’arbres très denses qui portaient des fruits toute l’année, mûrs et savoureux, et aussi des fleurs de toutes les couleurs qui embaumaient l’air alentour. Tous ceux qui goûtaient de ces fruits et respiraient le parfum de ces fleurs étaient guéris de toute maladie ou de toute blessure, fût-elle la plus grave. Si quiconque en la traversant se sentait accablé de chagrin, il voyait miraculeusement sa peine se transformer en joie, s’évanouir comme par enchantement (24) .
Quant à Iblis, la fille d’Iweret, c’était une belle fille sans défaut et dont la conduite était irréprochable. L’envie et la haine étaient des choses qu’elle ne connaissait pas. Sa bouche rose n’avait jamais prononcé que des paroles douces et aimables. On ne l’avait jamais vue chagrinée, bien qu’elle fût contrainte, par son père, de ne jamais quitter les limites de Dodone et de Behforêt. Elle vivait toujours dans l’espoir qu’un jour elle pourrait errer dans le vaste monde et découvrir d’autres beautés de la nature. Mais cela ne l’empêchait nullement d’honorer les hommes et les femmes qui étaient
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