L'année du volcan
composition.
— Et qu’arriva-t-il ?
— Il essayait d’entraîner, moyennant finances, quelques candides jusqu’au moment où la police mit un terme à ses tentatives. Vous savez la sensibilité des gens du roi dans ces matières !
Nicolas réfléchit un moment.
— Le pire avec ce genre d’individus, c’est qu’on ne laisse pas d’être emporté, sinon séduit, par l’allant de leurs discours. L’apparente sincérité et la chaleur persuasive du personnage entraînent l’adhésion de beaucoup, hélas ! Et souvent de ceux que la position et leur capacité devraient préserver de tels égarements. Se pourrait-il que ce type d’homme ait, comme les plantes, des propriétés cachées que le hasard fait découvrir ?
— La Rochefoucauld est ici le bienvenu, dit Noblecourt souriant. L’âme la plus pure à l’origine peut s’égarer sur la route même du bien, si une solide raison ne la guide. Ainsi le clair peut être aussi opaque que le sombre. Ces gens-là jouent sur la crédulité d’autrui. Ils bâtissent leur fonds sur la bêtise et l’ignorance. Même vous, Nicolas, je sens que par certains côtés ce Cagliostro vous étonne. Craignez-le plutôt, il n’y a qu’un pas entre cette impression et la fascination qu’un reptile exerce sur sa proie.
Il ajouta comme pour lui-même :
— … Et cet homme commet le crime de dévoyer les nobles principes d’une association d’hommes libres. Il en insulte les valeurs et en brise la pierre angulaire… Cette vérité qui est notre but, notre findernière… Vérité pour laquelle tant d’efforts… fraternels…
La réflexion parut trop personnelle à Nicolas pour qu’il la relevât. Et d’ailleurs le magistrat n’acheva pas sa phrase, son visage s’affaissa sur la poitrine. Inquiet, Nicolas se leva et s’approcha de son vieil ami. Il perçut une respiration calme et régulière qui le rassura : M. de Noblecourt venait de s’assoupir dans une sérénité recouvrée.
Nicolas regagna son appartement, précédé de Mouchette, mystérieusement apparue, qui s’arrêtait à chaque marche de l’escalier pour vérifier que son maître la suivait bien et ne s’égarait pas, comme trop souvent, dans un départ imprévu. Il se déshabilla mi-joyeux de l’éclaircissement de Noblecourt au sujet de sa mercuriale de la veille et mi-soucieux d’une affaire qui s’avérait éclater dans trop de directions, en fusées de feu-volant. Devait-il lier les activités du vicomte de Trabard au meurtre commis sur sa personne ou, au contraire, se persuader que l’un était la conséquence des autres ? Il savait d’expérience que tout a priori était à rejeter, que l’intelligence d’une enquête ne tenait en rien à des choix préconçus. Par des chemins détournés, et souvent inattendus, la vérité, celle dont parlait Noblecourt, s’imposerait au bout du compte. Le commissaire aux Affaires extraordinaires éprouva comme un regain d’excitation, de joie presque. Une fois de plus la chasse était lancée.
La vérité à nouveau dépendrait de ses qualités d’expérience et de courage. Peut-être, il le savait bien, la justice n’y trouverait pas tout son compte, mais au moins le chemin emprunté y conduirait. À l’issue de cette quête, ce ne serait plus son affaire, même s’il le regrettait. Il ne connaîtrait, selon le motde Sartine, que la surface des choses . Il en avait pris son parti, serviteur du roi lucide, parfois révolté, mais toujours dans l’obéissance. Qu’y pouvait-il d’ailleurs ? Il songea soudain à la reine. Où donc sa fâcheuse passion pour le jeu l’avait-elle conduite ? Le roi exécrait ses errements 15 . Vingt fois, cela se savait, ses femmes en parlaient, il avait durement fait ses représentations à la reine, sans succès.
Nicolas avait fini par se dévêtir et s’allonger. Il tomba brutalement dans le sommeil comme dans un puits… Qui était cette femme en noir qui lui tendait une main ? Dieu, qu’elle était froide ! Ils descendaient ensemble quelques marches conduisant à une petite chapelle qu’il reconnut aussitôt : la crypte gothique de la collégiale Saint-Aubin à Guérande. L’ombre le conduisit devant le double gisant en granit de Tristan de Carné et de son épouse, Jeanne de la Salle. C’était là, au creux des deux effigies, que le chanoine Le Floch, un matin de tempête, l’avait découvert, vagissant. Se pouvait-il qu’il éprouvât encore dans son corps et dans son
Weitere Kostenlose Bücher