L'archer démoniaque
le plaça dans l’encoche ; puis il tendit lentement la corde tout en se gaussant de lui-même : il devenait nerveux comme une jouvencelle !
Le soleil de l’après-midi ruisselait à travers les arbres. Le silence n’était rompu que par des chants d’oiseaux. Il y eut un autre bruit et un lapin traversa le sentier. Cantrone se détendit. Il enleva le carreau, mais, tout en chevauchant, ne lâcha pas l’arme. Dans les branches, sur sa tête, les feuilles tournaient au brun doré, signe infaillible de l’automne, mais quand viendrait le temps des brumes il aurait laissé tout cela derrière lui. Il rabaissa le col de sa chemise de batiste blanche et la dégrafa au cou. Il était loin de se douter que ce faisant il offrait une cible parfaite à l’archer dissimulé sous les arbres. L’arc en bois d’if fut bandé et la corde tirée ; un doux son musical et le trait à la plume grise atteignit Cantrone en pleine gorge. Le mire lâcha les rênes, bascula et glissa sur le sentier. Son cheval, un peu effarouché, avança puis s’arrêta et se mit à brouter. L’archer en cape et capuchon noirs sortit à pas de loup de sous les arbres. Un instant la silhouette resta accroupie, examinant attentivement la sente à droite et à gauche avant de se précipiter vers le cadavre. Escarcelles et aumônières furent vidées. Le cheval de Cantrone fut rattrapé, le corps jeté sur la selle et assassin et victime disparurent dans les bois.
Le souper de Sir William au manoir d’Ashdown avait été somptueux. Corbett et Ranulf avaient été accueillis dans la large allée qui serpentait des grilles du château jusqu’à la porte principale de la splendide demeure de pierre et de bois par des valets portant des torches. Des serviteurs vêtus de la livrée des Fitzalan les avaient débarrassés de leur chape et de leur ceinturon puis introduits dans la grand-salle. Les murs étaient lambrissés à mi-hauteur et le plâtre chaulé, au-dessus, était orné d’étendards, pennons, écus, pièces d’armures étincelantes et coûteuses tentures à glands dorés. Des bannières aux armes de France et d’Angleterre, mais aussi de Flandre, pendaient des poutres. Le plancher de bois avait été balayé, ciré et recouvert de la plus fraîche des jonchées. Dans les embrasures des fenêtres, dans chaque coin, on avait garni de fleurs des vases d’argent. Piqueurs et valets éloignaient les chiens de la vaste estrade où était dressée une grande table nappée de samit vert et blanc et chargée des coupes et gobelets les plus précieux, de tranchoirs, de plats et aiguières estampés des armoiries des Fitzalan. Torches et chandelles de cire vierge dispensaient lumière et parfum agréable.
Sir William, qui paraissait fort nerveux, les avait reçus en leur clamant qu’ils auraient dû venir plus tôt tout en expliquant que, bien que son frère n’ait pas encore été inhumé, il suivait la tradition familiale en se montrant munificent. Ses cheveux, sa moustache et sa barbe avaient été taillés avec soin et huilés. Il portait une tunique de lin doré, une ceinture incrustée de joyaux et était chaussé de souples heuses rouges. Il leur avoua que l’absence du Signor Cantrone l’inquiétait et il ne cessait de regarder par-dessus son épaule vers l’endroit où Craon et son clerc principal étaient déjà installés sur l’estrade.
— J’ai cru comprendre que vous connaissiez l’envoyé français, dit Sir William.
— Comme mon propre cousin, répliqua Corbett en souriant.
Suivi de Ranulf, il se dirigea vers l’estrade qu’il gravit. Craon, tout sourire, se leva et vint à sa rencontre. Ils se serrèrent la main, s’étreignirent et échangèrent un baiser de paix.
— Hugh, que Dieu vous garde, nous vous pensions mort !
— Dieu seul sait, Amaury, à quel point cette nouvelle a dû vous désoler !
Craon recula.
— Vous n’avez pas du tout vieilli, Sir Hugh. Lady Maeve doit vous choyer !
Corbett examina les cheveux roux et clairsemés de Craon, son teint virant au jaune, sa barbe et sa moustache peu fournies. Son interlocuteur aurait été laid n’eussent été ses yeux vifs et intelligents. Un affable homme de cour ou un tueur froid et impitoyable ? Il arrivait que le magistrat éprouve une once d’affection pour cet adversaire des plus redoutables ; il se demanda si l’inverse était parfois vrai. Le Français arbora un véritable masque d’inquiétude.
— Quels sombres jours ! Lord
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