L'archer du Roi
que
blesser ses victimes, mais il manquait rarement son but car il tirait à courte
distance dans ces bois épais. Ce jeu lui rappelait les chansons affectionnées
par les archers et les histoires que racontaient leurs femmes autour des feux
de camp de l’armée. Ce n’étaient pas les chansons de geste des troubadours,
mais celles des gens du commun, qui contaient les exploits d’un hors-la-loi
appelé Robin des Bois. C’était Robin des Bois ou Robin du Bois, Thomas ne
savait au juste, mais ce Robin était un héros anglais qui avait vécu deux cents
ans auparavant et dont les ennemis étaient les nobles anglais parlant le
français. Robin les avait combattus avec une arme anglaise, l’arc de guerre. La
noblesse n’appréciait pas ces histoires, aussi les troubadours ne les
chantaient-ils pas dans leurs salles. Thomas avait songé parfois à les écrire,
mais nul n’écrivait jamais en anglais. Tous les livres qu’il avait vus étaient
écrits en latin ou en français. Mais pourquoi ne pas coucher sur parchemin les
aventures de Robin ? Parfois, le soir, il les contait à Robbie, pendant
qu’ils partageaient quelque abri de fortune, transis de froid. Mais l’Écossais
ne goûtait pas ces histoires.
— Je préfère celles du roi Arthur, dit-il.
— Vous connaissez ces histoires en Écosse ?
s’enquit Thomas, surpris.
— Pour sûr ! s’exclama Robbie. Arthur était
Écossais !
— Ne raconte pas de sottises, pauvre imbécile !
répliqua Thomas, offensé.
— C’était un Écossais, insista Robbie, et il tuait ces
scélérats d’Anglais.
— Il était anglais, et il ne savait sans doute même pas
que ces coquins d’Écossais existaient !
— Va-t’en au diable ! aboya Robbie.
— Tu y seras avant moi !
Thomas cracha en songeant que s’il devait un jour écrire
l’histoire de Robin des Bois, il ferait partir le légendaire archer vers le
nord et ne manquerait pas de lui faire embrocher quelques Écossais sur de
bonnes flèches anglaises.
Le lendemain matin, ils eurent honte tous les deux de s’être
ainsi emportés.
— C’est parce que j’ai faim, s’excusa Robbie, j’ai
toujours la tête près du bonnet quand j’ai faim.
— Et tu as toujours faim, ajouta Thomas.
L’Écossais rit, puis sella son cheval blanc. L’animal
tremblait. Car les chevaux, eux non plus, ne mangeaient pas à leur faim, et ils
étaient faibles tous les deux.
Leurs cavaliers avançaient avec prudence, peu désireux
d’être pris au piège en terrain découvert, car les montures du comte, repues,
n’auraient aucun mal à gagner de vitesse les destriers fatigués. Par bonheur,
le temps s’était radouci, mais de larges bandes de pluie venues de l’océan
avaient fait leur apparition. Elles déversèrent des trombes d’eau pendant une
semaine. Il n’était pas question de tendre un arc dans ces conditions, pas même
un arc anglais. Sans doute le comte de Coutances ne tarderait-il pas à se
convaincre que l’eau bénite de son chapelain avait chassé le cheval blême
d’Evecque et sauvé ses gens. Mais ses ennemis étaient épargnés eux aussi, car
il n’avait pas reçu de nouvelle fourniture de poudre pour sa bombarde. Sans
compter qu’à présent, tout autour du manoir, les prés étaient tellement gorgés
d’eau que les tranchées étaient inondées et que les assiégeants pataugeaient
dans la boue. Les chevaux attrapèrent la gangrène des sabots et certains
soldats restèrent cloués dans leurs abris, grelottants de fièvre.
Tous les matins, à l’aube, Thomas et Robbie allaient se
planter au bord des arbres, au sud d’Evecque, et agitaient les mains. De là,
ils avaient vue sur le flanc du manoir où le comte n’avait disposé qu’un petit
poste de garde. La garnison leur avait répondu sur le même mode au troisième
matin, mais depuis, plus aucun signal ne leur était parvenu. Enfin, le
lendemain du jour où ils s’étaient querellés à propos du roi Arthur, lorsque
Thomas et Robbie signalèrent leur présence, ils virent apparaître quelqu’un sur
le toit. L’homme leva une arbalète et tira haut dans le ciel. Le carreau
n’était pas dirigé sur le poste de garde, et si les guetteurs le virent voler,
ils ne bougèrent pas. Thomas, qui suivait le trait des yeux, le vit tomber dans
la pâture, au milieu d’une flaque d’eau, puis patiner sur l’herbe mouillée.
Ils ne firent pas de sortie ce jour-là. Ils attendirent la
tombée de la nuit, puis ils se
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