L'archer du Roi
était si légère qu’elle paraissait dénuée de poids.
C’était la couronne d’épines.
C’était la couronne qui avait été enfoncée sur la tête du
Christ, qui s’était imprégnée de sa sueur et de son sang. Les yeux remplis de
larmes, le cardinal la souleva et la porta à ses lèvres pour la baiser
doucement. Les fins rameaux qui formaient la sainte couronne étaient grêles et
frêles comme des pattes de troglodyte, mais les épines étaient toujours aussi
pointues, aussi acérées que le jour où elles avaient été plantées dans la tête
du Sauveur, faisant couler le sang sur sa Sainte Face. Le cardinal souleva la
relique très haut, à deux mains, toujours aussi émerveillé de sa légèreté. Puis
il la baissa pour la poser sur son crâne qui allait en se dégarnissant. Enfin,
il joignit les mains et dirigea son regard sur la croix d’or du maître-autel.
Il savait que le clergé de la Sainte-Chapelle ne goûtait
point ses visites ni ses façons de se couvrir le chef de la relique sacrée. On
s’était plaint à l’archevêque de Paris, qui à son tour avait pleuré auprès du
roi, mais Bessières n’en avait cure. Il continuait à faire ce que bon lui
semblait car il en avait le pouvoir. Il était le légat du pape et la France
avait besoin du soutien du pape. L’Angleterre assiégeait Calais et la Flandre
lui faisait la guerre au nord, et toute la Gascogne avait de nouveau fait allégeance
à Edouard d’Angleterre, tandis que la Bretagne, avec l’aide des archers
anglais, s’agitait et se rebellait contre le duc français, pourtant légitime.
La France était assaillie et seul le pape pouvait persuader les rois chrétiens
de lui venir en aide.
Et le pape le ferait, selon toute probabilité, car le pape
était français. Clément, né dans le Limousin, avait été chancelier de France
avant d’avoir été élevé au trône de saint Pierre et de s’installer au palais
des papes en Avignon. Et là-bas, en Avignon, Clément était entouré de Romains
qui tentaient de le persuader de rendre la papauté à la Ville Éternelle. Ils
murmuraient et complotaient, corrompaient et murmuraient encore, et Bessières
craignait que Clément ne cède un beau jour à leurs voix enjôleuses.
Mais si lui, Louis Bessières, devenait pape, il ne serait
plus question de Rome. Rome était une ville en ruine, un égout pestilentiel
entouré de minuscules États sans cesse en guerre les uns contre les autres et
le vicaire de Dieu sur terre n’y serait jamais en sécurité. Mais bien
qu’Avignon offrît un bon refuge à la papauté, elle ne convenait pas
parfaitement car la ville et le Comtat Venaissin appartenaient tous deux au
royaume de Naples et le pape, d’après lui, ne devait pas être un vassal, pas plus
qu’il n’était séant pour lui de vivre dans une ville de province. Rome,
autrefois, régnait sur le monde, aussi le pape avait-il eu sa place à Rome,
bien plus qu’en Avignon.
Son Éminence, le front toujours ceint de la couronne
d’épines, leva la tête vers le grand vitrail bleu et écarlate qui surmontait
l’autel. Il savait où se trouvait la ville qui méritait d’abriter la papauté.
La seule. Et Louis Bessières était bien certain qu’une fois élu pape, il
pourrait persuader le roi de France de céder l’île de la Cité au Saint-Père.
Ainsi la papauté serait-elle transportée vers le nord et serait-elle abritée
dans une nouvelle et prestigieuse cité. Le palais serait sa maison, la
cathédrale Notre-Dame serait son nouveau Saint-Pierre, cette glorieuse
Sainte-Chapelle, son reliquaire privé et la couronne d’épines sa relique
personnelle. D’ailleurs, pourquoi ne pas incorporer la couronne d’épines à la
triple couronne pontificale ?
Cette idée plut beaucoup au cardinal. Il s’imagina priant en
ce saint lieu, dans son île privée. Les orfèvres et les mendiants, les hommes
de loi et les putains, les blanchisseurs et les luthiers seraient chassés de
l’autre côté des ponts, et l’île de la Cité deviendrait un lieu saint. Ainsi le
vicaire du Christ aurait-il toujours le roi de France et son pouvoir à ses
côtés. Le royaume de Dieu se répandrait, les infidèles seraient extirpés de la
surface de la terre et la paix régnerait pour toujours.
Mais comment devenir pape ? Il y avait une bonne douzaine
de prétendants à la succession de Clément, mais Bessières était le seul à
connaître l’existence des Vexille, et lui seul savait qu’ils
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