L'archer du Roi
frère
Germain qui dirigeait le scriptorium du monastère. Le moine était la personne
la plus savante qu’il lui eût été donné de rencontrer. Par conséquent, il
connaissait la date de la Saint-Clément. Mais ce n’était pas la seule raison
qui poussait le jeune archer jusqu’à l’abbaye : il avait compris que s’il
existait un être au monde capable de comprendre les étranges écrits de son
père, c’était lui. Et la pensée que, peut-être, il recevrait le matin même une
réponse au mystère du Graal, rendait Thomas fébrile. Il s’en étonna lui-même.
Souvent, il doutait de l’existence du Graal, et plus souvent encore, il
souhaitait transmettre à quelqu’un d’autre le fardeau du vase sacré ; et
voilà que, tout à coup, il ressentait l’excitation du chasseur. Mieux, il se
sentait écrasé par la solennité de la quête, au point qu’il s’arrêta de marcher
et, les yeux fixés sur les jeux de lumière à la surface de la rivière, il
essaya de faire revivre dans sa tête la vision de feu et d’or qu’il avait eue
par une froide nuit d’automne, dans le nord de l’Angleterre. « Qu’il est
stupide de douter ! pensa-t-il soudain. Le Graal existe, assurément !
Il attend simplement d’être trouvé, et d’apporter ainsi le bonheur dans un
monde à feu et à sang. »
— Gare !
Thomas fut tiré brutalement de sa rêverie par un gaillard
qui poussait une charrette à bras remplie de coquilles d’huîtres. Le petit
chien attaché au véhicule se jeta sur Thomas en tentant en vain de mordre ses
chevilles et poussa une série de jappements mécontents lorsqu’il fut entraîné
péremptoirement par la ficelle de son maître. Mais le jeune archer ne prêta que
peu d’attention à l’épisode, car une pensée lui était venue. Sans doute le
Graal se dissimulait-il aux yeux des indignes en les faisant douter. Donc, pour
le trouver, il lui suffirait de croire en lui et, peut-être, de requérir l’aide
de frère Germain, ne fut-ce qu’une petite aide.
Un portier arrêta Thomas à l’entrée du monastère. Aussitôt
pris d’une quinte de toux, le moine se plia en deux, chercha à reprendre son
souffle, puis se releva lentement et se moucha entre ses doigts.
— J’ai attrapé la mort, dit-il en haletant, voilà tout.
Il se racla la gorge à grand bruit et envoya un gros crachat
en direction des mendiants agglutinés près de la porte.
— Pour le scriptorium, c’est par là, après le cloître,
dit-il.
Thomas suivit la direction indiquée et déboucha dans une
grande salle éclairée par le soleil, où une vingtaine de moines écrivaient
devant des pupitres inclinés. Un petit feu brûlait au centre de la pièce,
certainement pour empêcher l’encre de geler, mais la température ambiante était
suffisamment froide pour blanchir l’haleine des moines penchés sur leurs
parchemins. Les saints hommes étaient occupés à copier des livres, emplissant
la pièce aux murs de pierre du crissement de leurs plumes. Deux novices
écrasaient de la poudre à peinture sur une table latérale, un autre découpait
des peaux d’agneau et un quatrième affûtait des plumes d’oie. Tous étaient
placés sous la férule de frère Germain qui, assis sur une estrade, œuvrait à
son propre manuscrit.
Germain était vieux et petit, frêle et courbé, doté d’une
couronne de fins cheveux blancs, d’une paire d’yeux de myope vitreux et d’un
visage à l’expression perpétuellement courroucée. Le nez penché à trois pouces
du pupitre, il était plongé dans son œuvre et ne remarqua la présence de Thomas
qu’en entendant résonner son pas près de lui. Il leva brusquement la tête, et
malgré sa vue déficiente, distingua la forme d’une épée sur le flanc de son
visiteur inattendu.
— Quelle est l’affaire qui amène un soldat dans la
maison de Dieu ? rugit-il. Vous êtes venu achever ce que les Anglais ont
commencé l’été dernier ?
— L’affaire qui m’amène vous concerne, mon frère.
Le crissement des plumes avait soudain cessé, et toutes les
oreilles se tendaient dans leur direction.
— Retournez à votre besogne ! aboya-t-il. Vous
n’êtes pas encore au paradis ! Vous avez une tâche à accomplir !
Les plumes furent dûment trempées dans les encriers, et les
bruits reprirent, qui grattant le parchemin, qui le découpant et qui broyant la
poudre. Frère Germain, voyant Thomas gravir les marches de l’estrade, fut
aussitôt sur ses
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