L'archer du Roi
gardes.
— Est-ce que je vous connais ? gronda-t-il.
— Nous nous vîmes l’été dernier. C’est messire
Guillaume qui m’amena à vous.
— Messire Guillaume !
Frère Germain, sursautant, posa sa plume.
— Messire Guillaume, reprit-il, je doute que nous le
revoyions jamais ! Ah ! Il a été mis en cage par Coutances, m’a-t-on
dit, et c’est une bonne chose. Savez-vous ce qu’il a fait ?
— Coutances ?
— Non, messire Guillaume, pauvre sot ! Il s’est
retourné contre le roi en Picardie ! Retourné contre le roi ! Quelle
vile félonie ! Il a certes toujours été fou, il a toujours risqué sa vie,
mais maintenant, il sera bien chanceux s’il conserve sa tête. Qu’est
cela ?
Thomas, ayant sorti le livre de son enveloppe, l’avait placé
sur le pupitre.
— J’espérais, mon frère, prononça-t-il humblement, que
vous pourriez tirer quelque…
— Vous voulez que je le lise, n’est-ce pas ? Vous
n’avez jamais appris à lire et maintenant, vous faites appel à moi en pensant
que je n’ai rien de mieux à faire que de lire quelque tissu d’âneries pour que
vous puissiez évaluer sa valeur ?
Il arrivait parfois que des illettrés entrent en possession
de livres et les apportent au monastère pour les faire évaluer, dans le vain
espoir qu’une somme de pieux conseils pût se révéler un livre rare de théologie,
d’astrologie ou de philosophie.
— Quel est votre nom, m’avez-vous dit ? finit par
s’enquérir l’irascible moine.
— Je n’ai pas dit mon nom, mais on m’appelle Thomas.
Son nom ne parut pas évoquer de souvenir précis chez frère
Germain, mais, déjà, ce détail n’avait plus d’importance. Car il s’était plongé
dans le livre, formant les mots avec ses lèvres, tournant les pages du bout de
ses longs doigts blancs, sidéré et émerveillé. Puis il revint à la première
page et lut la phrase en latin à haute voix : Calix meus inebrians.
Il murmura ces mots avec le respect dû à des paroles sacrées
et fit le signe de la croix. Lorsqu’il en arriva à la page qui comportait
l’étrange écriture hébraïque, il s’anima et traduisit à haute voix :
« Pour mon fils, qui est le fils du tirshatha et le petit-fils de
Hakalya. »
Tournant vers lui ses yeux de myope, il avisa Thomas :
— Est-ce vous ?
— Moi ?
— Êtes-vous le petit-fils de Hakalya ?
En dépit de sa mauvaise vue, il remarqua l’égarement qui se
peignit sur les traits de son vis-à-vis.
— Oh, que m’importe ! s’exclama-t-il d’un ton
impatient. Savez-vous ce que c’est ?
— Des contes, répondit Thomas, des contes sur le Graal.
— Des contes ! Des contes ! Vous êtes pareils
à des enfants, vous autres soldats ! Sans cervelle, cruels, sans éducation
et avides de contes. Savez-vous ce qu’est cet écrit ? demanda-t-il en
pointant un long doigt vers les étranges lettres ponctuées des symboles
semblables à des yeux. Le savez-vous ?
— C’est de l’hébreu, n’est-ce pas ?
— C’est de l’hébreu, n’est-ce pas ? répéta frère
Germain, mimant son jeune interlocuteur. C’est de l’hébreu, naturellement,
n’importe quel mauvais écolier de l’université de Paris saurait cela, mais
c’est leur écriture magique ! Ce sont les lettres qu’utilisent les juifs
pour exercer leurs charmes, leur magie noire. (Il se pencha sur une page.) Ici,
vous voyez ? Le nom du diable, Abracadabra ! (Il fronça les
sourcils.) Celui qui a écrit ceci prétend que l’on peut faire surgir
Abracadabra en ce monde en invoquant son nom au-dessus du Graal. Cela paraît
plausible.
Frère Germain refit en hâte le signe de croix pour garder le
diable à distance, puis leva la tête vers Thomas.
— Où avez-vous eu ceci ? demanda-t-il d’un ton
coupant, mais sans attendre de réponse. C’est vous, n’est-ce pas ?
— Qui ?
— Le Vexille que messire Guillaume m’a amené !
proféra-t-il d’un ton accusateur, en se signant derechef. Vous êtes
anglais ! (Dans sa bouche, cela ressemblait à la pire des insultes.) À qui
allez-vous remettre ce livre ?
— Je veux le comprendre d’abord, risqua Thomas, que
cette question rendait perplexe.
— Le comprendre ! Vous ! se gaussa frère
Germain. Non, non. Vous allez me le laisser, jeune homme, afin que je puisse le
copier, et ensuite, il devra être apporté à Paris, aux dominicains. Ils ont
envoyé quelqu’un pour poser des questions sur vous.
— Sur
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