L'archer du Roi
n’est pas la lèpre, parvint-il à
prononcer, je sais que ce n’est point la lèpre. Mon frère avait la lèpre et il
ne toussait point. Pas beaucoup en tout cas.
— Quel est le jour de la Saint-Clément ? demanda
Thomas, se souvenant à temps de ce détail.
— Après-demain, si Dieu m’aime assez pour me prêter vie
jusque-là.
Nul ne suivit Thomas, mais cet après-midi-là, tandis qu’en
compagnie de Robbie, il baignait jusqu’en haut des cuisses dans l’eau glacée de
la rivière, garnissant les planches du Pentecôte d’épaisses couches de mousse
à grand renfort de coups de battoir, une patrouille de soldats en livrée rouge
et jaune vint interroger Pierre Villeroy pour savoir s’il avait vu un Anglais
vêtu d’une cotte de mailles et d’une cape noire.
— C’est lui, là, répondit le capitaine en désignant
Thomas, puis il éclata d’un rire tonitruant. Si d’aventure je vois un Anglais,
poursuivit-il, je lui pisse dans la gorge, à ce bâtard, jusqu’à ce qu’il se
noie.
— Non, emmène-le plutôt au château, répondit le chef de
la patrouille, avant de mener ses hommes vers le bateau suivant.
Villeroy attendit que les soldats fussent hors de portée de
voix pour annoncer à Thomas :
— Pour me remercier, tu vas bien me faire deux petites
rangées de plus !
— Par le Christ ! jura le jeune archer.
— C’était un bon charpentier, fit observer le géant
entre deux bouchées d’une tarte aux pommes amoureusement confectionnée par
Yvette, mais c’était aussi le Fils de Dieu, pas vrai ? Ce qui fait que les
basses besognes, comme calfater les planches, n’étaient point de son ressort.
Alors ma foi, ne perds point ton temps à Lui demander son aide ! Allez
tape fort, mon gars, vas-y, fais bien entrer la mousse !
Messire Guillaume tenait bon depuis près de trois mois, et
il était sûr de pouvoir tenir indéfiniment si le comte de Coutances ne recevait
pas de poudre à canon. Mais il savait également que ses jours en Normandie
étaient comptés. Le comte de Coutances était son seigneur-lige, il tenait ses
terres de lui comme le comte tenait les siennes du roi. Dès lors que quelqu’un
était déclaré félon par son seigneur-lige, et si le roi le soutenait, il
n’avait aucun avenir s’il ne devenait pas le vassal d’un autre seigneur,
lui-même vassal d’un autre roi. Messire Guillaume avait écrit au roi et en
avait appelé à des amis influents à la cour, mais il n’avait reçu aucune
réponse. Le siège se poursuivant, il devait quitter le manoir. Cela
l’attristait, car Evecque était sa maison. Pas un pouce de ses pâtures ne lui
était étranger ; il savait où trouver les bois de cerf après la mue ;
il connaissait les cachettes des jeunes lièvres qui se tapissaient, tremblants,
dans les hautes herbes ; et les eaux profondes où pullulaient les brochets
n’avaient pas de secret pour lui. C’était sa maison. Mais un homme déclaré
félon n’avait pas de maison.
Aussi, à la veille de la Saint-Clément, tandis que ses
assiégeants étaient plongés dans les ténèbres humides de l’hiver, prit-il la
poudre d’escampette.
Pas un instant, il n’avait douté du succès de son
entreprise. Le comte de Coutances était un homme d’âge moyen, lourdaud, dénué
d’imagination, dont l’expérience au combat se limitait à servir les seigneurs
d’un rang plus élevé. Il se refusait à prendre des risques et était sujet à des
explosions de colère lorsque le monde échappait à son entendement, ce qui se produisait
fréquemment. Il ne comprenait pas les raisons pour lesquelles des hommes haut
placés à Paris l’encourageaient à assiéger Evecque, mais il y voyait une chance
de s’enrichir et donc obéissait à leurs injonctions, même s’il se méfiait fort
de messire Guillaume. Ce dernier avait la trentaine et avait passé la moitié de
sa vie à se battre, en général pour son propre compte. En Normandie, on
l’appelait le seigneur de la mer et de la terre, parce qu’il se battait sur les
deux terrains avec une fougue et une efficacité égales. Autrefois, il avait été
beau, avec un visage dur et des cheveux d’or, mais Guy Vexille, le comte
d’Astarac, lui avait pris un œil et laissé des cicatrices qui durcissaient
encore son visage. C’était un être qui inspirait la crainte, un combattant,
mais dans la hiérarchie des rois, princes, ducs et comtes, il était d’un rang
inférieur, et ses terres attisaient la
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