L'archer du Roi
interlocuteur.
Hakalya.
Mordecaï pencha le nez sur l’ouvrage.
— Petit-fils d’Hakalya, traduisit-il à haute voix, et
fils du tirshatha. J’y suis ! C’est une confusion à propos de Jonas et du
grand poisson.
— Hakalya ?
— Non, mon garçon ! La superstition à propos des
juifs et des tempêtes est une confusion à propos de Jonas, une confusion faite
par les ignorants.
Revenant à la page ouverte, le vieux médecin demanda :
— Êtes-vous le fils du tirshatha ?
— Je suis le fils bâtard d’un prêtre !
— Et c’est votre père qui a écrit ceci ?
— Oui.
— Pour vous ?
Thomas hocha la tête.
— Oui, je pense.
— Donc, vous êtes le fils du tirshatha et le petit-fils
de Hakalya, confirma Mordecaï en souriant. Ah, bien sûr ! Néhémie. Ma
mémoire est presque aussi mauvaise que celle de ce pauvre Skeat. J’avais oublié
que Hakalya était le père de Néhémie.
Ces explications n’avançaient pas Thomas pour autant.
— Néhémie ?
— Et il était le tirshatha, naturellement. C’est
extraordinaire, ne trouvez-vous pas ? Immanquablement, après une période
où nous autres juifs, nous prospérons dans un État, cet État se fatigue de nous
et nous rend responsables du moindre petit accident. Puis le temps passe et
nous sommes rappelés dans nos fonctions. Le tirshatha, Thomas, était le
gouverneur de Juda sous les Perses. Néhémie était le tirshatha. Ce n’était pas
le roi, bien sûr, il n’a été que gouverneur pendant quelque temps sous le règne
d’Artaxerxès.
L’érudition du vieil homme était impressionnante, certes,
mais elle n’éclairait pas la lanterne de Thomas. Pourquoi le père Ralph
s’identifiait-il à Néhémie, un personnage qui avait dû vivre des centaines
d’années avant le Christ, avant le Graal ? La seule réponse qui venait à
l’esprit était, comme à l’accoutumée, la folie.
Mordecaï feuilleta les pages du parchemin et fit la grimace.
— Je suis toujours étonné de voir à quel point les gens
ont soif de miracles, dit-il en tapotant une page de son doigt taché par toutes
les médecines qu’il avait mélangées et réduites en poudre. « Une coupe en
or dans la main du Seigneur qui enivra toute la terre. » Que diable cela
peut-il bien signifier ?
— Il parle du Graal, dit Thomas.
— J’avais compris, Thomas, le réprimanda Mordecaï d’une
voix douce, mais ces mots n’ont pas été écrits à propos du Graal. Ils
concernent Babylone. Ils font partie des lamentations de Jérémie. (Il tourna
une page.) Les gens aiment le mystère. Ils ne veulent pas d’explications, parce
que lorsque les choses sont expliquées, il n’y a plus matière à espérance.
Combien de fois me suis-je trouvé au chevet d’agonisants, sachant qu’ils
étaient perdus, mais, malgré cela, prié de partir parce que le prêtre allait
arriver bientôt avec son plat recouvert d’un linge, et que tout le monde priait
pour demander un miracle ! Or, jamais le miracle ne se produisait. Et le
malade trépassé, c’était moi que l’on accusait, non pas Dieu ni le prêtre, mais
moi !
Il reposa le livre sur ses genoux et les pages se
soulevèrent au vent léger.
— Ce que vous détenez, c’est une somme de récits sur le
Graal, et quelques curieux écrits qui s’y réfèrent peut-être. En quelque sorte,
un livre de méditations. (Il fronça les sourcils.) Ton père croyait-il
véritablement en l’existence du Graal ?
Thomas s’apprêta à protester de la ferme conviction de son
père, puis se ravisa. En général, son père était un homme intelligent, porté à
l’ironie et plein d’humour. Mais il lui arrivait aussi de se transformer en une
sorte de sauvage hurlant qui luttait avec Dieu et essayait désespérément de
comprendre les mystères sacrés.
— Je pense, finit-il par dire prudemment, qu’il avait
foi en l’existence du Graal.
— Mais bien sûr que oui, s’exclama soudain Mordecaï,
que je suis stupide ! Bien sûr qu’il avait foi en son existence, puisqu’il
croyait le posséder !
— Ah ? souffla Thomas, qui n’y comprenait plus
rien.
— Néhémie était plus que le tirshatha de Juda, c’était l’échanson
d’Artaxerxès. Il le dit au début de ses écrits : « J’étais alors
l’échanson du roi. » Ici, vois. (Il indiqua une ligne écrite en hébreu.)
« J’étais l’échanson du roi. »
Ce sont les mots de votre père, Thomas, pris dans le livre
de
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