L'archer du Roi
demanda messire Guillaume.
— Parce que la ville était entre les mains des Anglais
la dernière fois qu’on m’en a parlé, répondit Skeat.
— Elle l’est toujours, confirma Villeroy.
— Et nous avons des amis là-bas, ajouta Skeat.
« Et des ennemis », se dit Thomas. Tréguier
n’était pas seulement le plus proche port breton passé aux mains des Anglais,
mais le port le plus proche de La Roche-Derrien. Or, c’était là que l’attendait
sir Geoffrey Carr, l’Épouvantail. De plus, c’était cette ville qu’il avait
nommée à frère Germain, ce qui signifiait à coup sûr que l’information
parviendrait aux oreilles Taillebourg, qui l’y chercherait lui aussi. Mais peut-être
Jeannette s’y trouvait-elle également. Tout à coup, Thomas, qui avait répété
pendant des semaines que jamais il n’y retournerait, fut pris d’une folle
impatience d’arriver à La Roche-Derrien.
Car c’était là-bas, en Bretagne, qu’il possédait des amis,
d’anciennes amours et des ennemis qu’il voulait éliminer.
TROISIÈME PARTIE
L’échanson du Roi
Bretagne, printemps 1347
10
Jeannette Chénier, comtesse d’Armorique, avait perdu son
époux, ses parents, sa fortune, sa maison, son fils et son royal amant, et tout
cela avant d’avoir atteint ses vingt ans.
Son époux lui avait été enlevé par une flèche anglaise, et
il était mort au milieu d’atroces souffrances, en pleurant comme un enfant.
Ses parents étaient morts de consomption et les toiles de
leur lit avaient été brûlées avant qu’on les enterre près de l’autel de
l’église Saint-Renan. Ils avaient laissé à Jeannette, leur seule enfant
survivante, une petite fortune en or, une affaire de négoce de vin et
d’armement de navires, ainsi qu’une grande maison située sur la rivière, à La
Roche-Derrien.
Jeannette avait dépensé la plus grande partie de la fortune
en équipant des navires et des hommes destinés à se battre contre ces Anglais
tant détestés qui avaient tué son époux, mais les Anglais avaient remporté la victoire
et sa fortune avait fondu par la même occasion.
La jeune femme s’était rendue auprès de Charles de Blois,
duc de Bretagne et parent de son défunt époux, afin de quémander son aide, et
c’était ainsi qu’elle avait perdu son fils. Charles de Blois, après l’avoir
insultée, traitée de putain indigne d’appartenir à la noblesse, l’avait violée
pour lui signifier le mépris qu’il éprouvait pour les filles de marchands. Et
pour faire bonne mesure, il lui avait arraché son fils, le petit Charles, âgé
de trois ans. À présent, ce dernier, nouveau comte d’Armorique, était élevé par
l’un des loyaux partisans de Charles de Blois, afin de faire en sorte que ses
vastes terres continuent d’appartenir au fief dominant de Blois.
Depuis ce moment, Jeannette, qui avait perdu sa fortune en
tentant une expédition en faveur du duc Charles, nourrissait une haine féroce
envers lui. Elle avait trouvé un amant dévoué en la personne de Thomas de
Hookton, avec qui elle avait fui vers le nord pour rejoindre l’armée anglaise
en Normandie. Là, elle avait attiré l’attention d’Edouard de Woodstock, prince
de Galles, et avait abandonné Thomas. Puis, craignant que les Anglais ne
fussent écrasés par les Français en Picardie et d’encourir de ce fait les
représailles des vainqueurs pour avoir choisi son nouvel amant parmi l’ennemi,
elle avait fui à nouveau.
Mais les Anglais avaient vaincu, et elle ne pouvait revenir
en arrière. Les rois et les fils de rois ne goûtant pas l’inconstance.
Jeannette Chénier, comtesse d’Armorique douairière, était retournée à La
Roche-Derrien, mais pour constater qu’elle avait perdu sa maison.
Lorsqu’elle avait quitté la ville, couverte de dettes,
Belas, le notaire, s’était approprié sa demeure au prétexte de rentrer dans ses
frais. Jeannette, à son retour, avait proposé de la racheter. Elle était
suffisamment riche, car le prince de Galles s’était montré généreux en joyaux.
Mais Belas avait refusé de quitter la maison. La loi était de son côté.
Quelques-uns parmi les Anglais qui occupaient La Roche-Derrien avaient montré
de la sympathie pour la jeune femme, mais sans interférer avec la décision de
la justice. D’ailleurs, leur intervention eût été vaine, car tout un chacun
savait que l’ennemi ne pourrait rester très longtemps dans la petite ville. Le
duc Charles était en
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