L'archer du Roi
couraient sur les
richesses offertes par la Bretagne. Ils avaient à leur tête un homme méchant au
visage de brute qui portait un fouet et un lourd paquet de rancœurs de toute
sorte. Ce furent là les derniers renforts que reçut Totesham avant l’arrivée du Pentecôte.
La garnison de La Roche-Derrien était réduite, mais l’armée
du duc Charles, en revanche, était importante et ne cessait de croître. Des
espions à la solde des Anglais parlèrent d’arbalétriers génois arrivant à
Rennes par compagnies de cent hommes. Des hommes d’armes, également,
chevauchaient depuis la France pour faire allégeance à Charles de Blois. Son
armée grossissait à vue d’œil mais le roi d’Angleterre, apparemment peu
soucieux de ses garnisons en Bretagne, ne leur envoya aucune aide. Cela
signifiait que La Roche-Derrien, la plus petite des villes fortifiées anglaises
en Bretagne et la plus proche de l’ennemi, était perdue.
Thomas se sentit étrangement mal à l’aise lorsque le Pentecôte s’engagea en louvoyant entre les saillies rocheuses qui marquaient l’embouchure
de la Jaudy. Avait-il commis une erreur en revenant dans cette petite
ville ? Ou Dieu l’y avait-il envoyé parce que c’était là que les ennemis
du Graal le chercheraient ? Car, à son avis, le mystérieux Taillebourg et
son valet n’étaient autres que les ennemis du Graal. À moins que la cause de
son malaise ne fût à chercher ailleurs : peut-être était-il tout
simplement nerveux à l’idée de revoir Jeannette. Leur histoire était trop
compliquée, trop de haine était mélangée à l’amour. Mais il mourait d’envie de
la voir, tout en craignant d’être éconduit. Il essaya sans y parvenir de se
représenter son visage.
La marée montante transporta le Pentecôte dans
l’embouchure de la rivière, où les cormorans écartaient leurs ailes noires et
dentelées pour se sécher sur des rochers frangés d’écume. Un phoque leva sa
tête luisante, regarda Thomas d’un air indigné, puis retourna dans les
profondeurs. Les bords de la rivière se rapprochèrent, apportant l’odeur de la
terre. Les rives étaient formées de blocs de pierre, d’herbe pâle et de petits
arbres tordus par le vent. Dans les creux, on voyait baigner des pièges à
poisson en osier. Une petite fille âgée de six ans à peine tapait sur les
rochers pour détacher les berniques, armée d’un caillou.
— Quel maigre dîner, fit remarquer Will Skeat.
— C’est vrai, Will.
— Ah, Tom ! (Skeat sourit en reconnaissant la
voix.) Mais toi, tu n’as jamais dû te contenter de berniques pour ton
dîner !
— Si ! protesta le jeune archer. Et pour mon petit
déjeuner aussi.
— Un homme qui parle le latin et le français mange des
berniques ? plaisanta Skeat. Et tu sais écrire aussi, pas vrai, Tom ?
— C’est vrai. J’écris aussi bien qu’un prêtre.
— Je pense que nous devrions écrire une lettre à Sa
Seigneurie pour lui demander de m’envoyer mes hommes, poursuivit Skeat, faisant
allusion au comte de Northampton. Mais il ne le fera pas sans espèces sonnantes
et trébuchantes, pas vrai ?
— Il vous en doit, lui rappela Thomas.
Skeat fronça les sourcils.
— Ah oui ?
— Vos hommes sont à son service en ce moment. Il doit
donc vous payer.
Skeat secoua la tête.
— Le comte ne s’est jamais fait prier pour payer de
bons soldats. Grâce à lui, leur bourse est bien remplie, j’en suis sûr. Si je
veux les avoir ici, il va me falloir le persuader de les laisser partir et il
me faudra aussi payer leur passage.
Les hommes de Skeat étaient liés par contrat au comte de
Northampton qui, après avoir fait campagne en Bretagne, avait rejoint le roi en
Normandie et le servait à présent à Calais.
— Il va me falloir payer le passage des hommes et des
chevaux, Thomas, poursuivit Skeat, et sauf si les choses ont changé depuis que
j’ai reçu un coup sur la tête, ce ne sera pas bon marché. Oh, non. Et pourquoi
le comte accepterait-il de les laisser quitter Calais ? Ils ont une ventrée
de batailles qui les attendent dès le prochain printemps.
Thomas se dit que c’était une question judicieuse, car il
fallait s’attendre à des combats acharnés à Calais à la fin de l’hiver. À sa
connaissance, la ville n’était pas tombée, mais les Anglais l’avaient encerclée
et on disait que le roi de France était en train de lever une grande armée pour
attaquer les assiégeants au
Weitere Kostenlose Bücher