L'archer du Roi
puis
ralentit afin de pouvoir déceler les mots intéressants. Soudain, ils lui
sautèrent aux yeux. Neemias Athersatha filius Achetai. Néhémie le
gouverneur, fils d’Hakalya. Il lut le passage en entier, mais en vain. Le cœur
battant, il retourna en arrière, page par page, sachant qu’il était près du but.
Enfin, il lut :
Ego enim eram pincema regis.
Il regarda fixement la phrase, puis la lut à haute
voix : « Ego enim eram pincerna regis. »
« J’étais alors l’échanson du roi. »
Mordecaï tenait le livre du père Ralph pour une supplique
adressée à Dieu pour rendre le Graal réel, mais Thomas n’était pas de cet avis.
Son père ne voulait pas devenir l’échanson. Non, ce livre était une manière
d’avouer la vérité tout en la cachant. Son père lui avait laissé une trace à
suivre. Va de Hakalya au tirshatha et comprends que le gouverneur était aussi
l’échanson : ego enim eram pincerna regis, « J’étais »,
réfléchit Thomas. Cela signifiait-il que son père avait perdu le Graal ?
Non, sans doute employait-il le passé parce qu’il savait que son fils ne lirait
le livre qu’après sa mort. Mais une chose était certaine : ces mots
confirmaient que le Graal existait et que son père en avait été le gardien
malgré lui. « J’étais l’échanson du roi ; éloignez de moi cette
coupe ; ma coupe me rend ivre. » Cette coupe existait bel et bien.
Thomas sentit un frisson parcourir son échine. Il posa son regard sur les
flammes des cierges et sentit ses yeux s’embuer. Eléonore avait raison. Le
Graal existait, il attendait d’être trouvé et de remettre de l’ordre dans le
monde, d’amener Dieu aux hommes et les hommes à Dieu, et la paix sur la terre.
Il existait. C’était le Graal.
— C’est mon père qui a fait don de ce livre à l’église,
prononça une voix de femme.
— Je sais, répondit Thomas en refermant la bible.
Il se retourna et regarda Jeannette, non sans appréhension.
Car peut-être n’était-elle plus aussi belle que dans son souvenir ;
peut-être aussi sa vue n’engendrerait-elle en lui que de la haine pour celle
qui l’avait abandonné.
Mais non. Lorsqu’il vit son visage, les larmes lui montèrent
aux yeux.
— L’Oiseau Noir, murmura-t-il.
C’était son surnom.
— Thomas, dit Jeannette d’une voix sans timbre.
Puis elle tourna vivement la tête vers une vieille femme
dissimulée sous un voile noir.
— Madame Verlon, qui craint pour sa vie, est venue me
quérir en me disant qu’un soldat anglais était en train de voler la bible,
reprit-elle.
— Et ainsi, tu es venue pour te battre avec ce
soldat ?
Près de lui, la flamme d’un cierge vacillait, palpitante
comme le cœur d’un oiseau.
La jeune femme haussa les épaules.
— Le curé est trop couard pour oser défier un archer
anglais. À qui d’autre pouvait-elle faire appel ?
— Madame Verlon peut dormir sur ses deux oreilles, dit
Thomas en remettant le livre à sa place.
— Elle a dit aussi, poursuivit Jeannette d’une voix qui
tremblait légèrement, que celui qui était en train de voler la bible portait un
grand arc noir.
Voilà qui expliquait pourquoi elle était venue en personne
au lieu d’envoyer chercher de l’aide !
— Au moins, tu n’as point eu à marcher très loin,
commenta hypocritement le jeune archer avec un geste vers la porte latérale qui
menait à la cour de sa maison.
La jeune femme rejeta brusquement la tête en arrière.
— Je n’habite pas là, dit-elle d’un ton bref, pas en ce
moment.
Les pieuses femmes qui tendaient l’oreille, ne perdant pas
une miette de leur conversation, reculèrent avec ensemble en voyant Thomas
s’avancer dans leur direction.
— Peut-être me permettrez-vous, madame, de me laisser
vous accompagner en votre demeure ? proposa-t-il à Jeannette.
La jeune femme hocha la tête d’un geste bref. Ses yeux
brillaient, immenses, à la lueur des cierges. Elle avait maigri, à moins que ce
ne fût l’obscurité ambiante qui jetait une ombre sur ses joues. Elle était
coiffée d’un bonnet attaché sous le menton et emmitouflée dans une grande cape
noire qui balayait les dalles de pierre à chaque pas.
— Tu te souviens de Belas ? lui demanda-t-elle.
— Je me souviens de son nom. N’était-ce pas un
notaire ?
— Oui, c’est un notaire, répliqua Jeannette, et la plus
vile des créatures, une bête visqueuse, une canaille. Quel est ce mot anglais
que tu
Weitere Kostenlose Bücher