L'archer du Roi
vêtements, quoique de bonne qualité, avaient été taillés pour
un homme plus corpulent, ce qui laissait supposer soit qu’il avait récemment
perdu du poids, soit, plus probablement, que cette vêture avait été dérobée sur
le cadavre d’un malheureux qu’il avait trucidé au cours de quelque bataille. Il
portait, enroulée à sa ceinture, une cravache dont la présence ne laissa pas de
surprendre le notaire, mais ce dernier n’avait jamais prétendu comprendre les
soldats.
— Vraiment, un hiver très humide, insista-t-il en
faisant signe à son visiteur de prendre place.
— Oui, le ciel pisse dru, cet hiver, grogna
l’Épouvantail pour cacher sa nervosité, et avec ce froid, les engelures vous
guettent.
Sir Geoffrey était nerveux car il n’était pas sûr que cet
homme de loi, maigre et à l’œil perçant, fût aussi acquis à la cause de Charles
de Blois que le prétendaient les rumeurs de taverne. Ayant dû abandonner Beggar
et Dickon dans la cour, il se sentait vulnérable sans leur rassurante compagnie,
d’autant plus que le notaire était flanqué d’une sorte de géant vêtu d’un gilet
de cuir et portant une longue épée à son flanc.
— Pierre est ici pour me protéger, expliqua Belas, à
qui le regard inquiet de sir Geoffrey n’avait pas échappé. Il me protège des
ennemis que tout honnête homme de loi ne manque point de se faire. Faites-moi
la grâce de vous asseoir, sir Geoffrey.
Un petit feu brûlait joyeusement dans l’âtre en envoyant sa
fumée dans le conduit d’une cheminée nouvellement construite.
Plantés dans une face blafarde comme un ventre de couleuvre,
les yeux du notaire luisaient d’un appétit dévorant. Il portait une robe noire
et une cape de même couleur, bordée de fourrure également noire, et assortis
d’une toque noire munie de rabats qui recouvraient ses oreilles.
Soulevant l’un des rabats de façon à mieux entendre la voix
de son interlocuteur, il l’interrogea en français :
— Parlez-vous le français ?
— Non.
— Brezoneg a ouzit ?
Voyant l’incompréhension se peindre sur le visage de
l’Épouvantail, il haussa les épaules :
— Vous ne parlez pas le breton ? demanda-t-il.
— Je viens de vous le dire, je ne parle pas français.
— C’est que le français et le breton sont deux langues
différentes, sir Geoffrey.
— Ce n’est pas de l’anglais, par tous les diables !
s’emporta le visiteur.
— En effet, ce n’est pas de l’anglais. Hélas, je ne
parle pas bien cette langue, mais j’apprends vite. Après tout, n’est-ce pas la
langue de nos nouveaux maîtres ?
— Des maîtres ou des ennemis ? releva
l’Épouvantail.
Belas haussa les épaules.
— Je suis un homme… comment dites-vous ? Un homme
d’affaires. Il n’est pas possible, à mon avis, d’être un homme d’affaires sans
se faire d’ennemis. (Il haussa les épaules comme s’il évoquait des choses sans
importance, puis s’adossa dans son fauteuil.) Êtes-vous venu pour affaires,
messire Geoffrey ? Vous avez des propriétés à céder, peut-être ? Un
contrat à établir ?
— Jeannette Chénier, comtesse d’Armorique, se contenta
de jeter l’Épouvantail.
Belas fut surpris, mais n’en montra rien. Et il fut aussitôt
sur ses gardes. Il savait parfaitement que Jeannette brûlait d’envie de se
venger et ne cessait jamais de garder l’œil ouvert pour contrer ses
machinations. Mais, simulant l’indifférence, il admit d’un ton négligent :
— En effet, j’ai entendu parler de cette dame.
— Elle vous connaît bien, elle. Et elle ne vous aime
point, monsieur Belas, précisa sir Geoffrey en insistant sur le terme
« monsieur » avec un rictus sarcastique. Elle vous aime si peu
qu’elle rêve de vous couper les couilles et de les faire frire à la poêle.
Le notaire se mit à agiter les papiers qui encombraient son
bureau comme pour signifier à son visiteur qu’il était importun.
— Je vous l’ai dit, sir Geoffrey : un homme de loi
se fait inévitablement des ennemis. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. La loi me
protège.
— La loi, vous pouvez vous asseoir dessus, répliqua
l’Épouvantail d’une voix coupante.
Ses yeux, curieusement pâles, surveillaient le notaire qui,
continuant d’affecter l’indifférence, s’affairait à tailler une plume.
— Supposons que la dame récupère son fis ?
poursuivit-il. Supposons que la dame emmène son fils à Edouard d’Angleterre
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