L'archer du Roi
cheminèrent par les ruelles sombres. Dans les tavernes,
on chantait à tue-tête et, quelque part, une femme criait après son homme. Un
chien aboya et fut réduit au silence. La pluie qui cinglait le chaume
ruisselait des avant-toit et rendait la boue des rues glissante. Une lueur
rouge brillait au loin en grandissant à mesure qu’ils s’en rapprochaient.
C’étaient les flammes des deux braseros qui réchauffaient les gardes de la
porte sud, celle qu’il avait ouverte avec ses compagnons Jake et Sam pour
permettre à l’armée anglaise de pénétrer.
— Je t’ai promis un jour que tu reprendrais Charles, dit-il.
— Toi et moi, Thomas, répondit Jeannette, nous avons
fait trop de promesses.
Sa voix était lasse, à nouveau.
— Peut-être est-il temps que je commence à en tenir
quelques-unes, dit Thomas. Mais, pour aller à Roncelet, il me faut des chevaux.
— Je puis m’en procurer, dit la jeune femme en
s’arrêtant devant un porche. C’est ici que je demeure.
Elle le regarda dans les yeux. Il était grand, mais elle
était presque de la même taille.
— Le comte de Roncelet est un guerrier réputé,
l’avertit-elle. Tu n’es pas obligé de mourir pour une promesse que tu n’aurais
jamais dû faire.
— Mais je l’ai faite.
Elle hocha la tête.
— C’est vrai, murmura-t-elle.
Il y eut un long silence. Les pas d’un guetteur résonnaient
sur le mur d’enceinte.
— Je… commença-t-il.
— Non, l’arrêta-t-elle vivement.
— Je ne…
— Une autre fois. Il faut que je m’habitue à ta
présence. Je suis fatiguée des hommes, Thomas. Depuis la Picardie…
Elle s’arrêta et Thomas crut qu’elle n’ajouterait rien, mais
elle poursuivit avec un haussement d’épaules :
— Depuis la Picardie, j’ai vécu comme une nonne.
Il déposa un baiser sur son front.
— Je t’aime, lui dit-il, avec sincérité, surpris
lui-même d’avoir exprimé ses sentiments à haute voix.
Elle ne répondit pas tout de suite. La lueur rouge des
braseros se refléta dans ses yeux.
— Qu’est-ce qui est arrivé à cette fille ?
s’enquit-elle au bout d’un moment. À cette petite fille pâle qui prenait si
grand soin de toi ?
— Je n’ai pas su prendre soin d’elle, et elle en est
morte, répondit Thomas.
— Les hommes sont des chiens, déclara-t-elle.
Sur ces mots, elle se détourna et tira sur le cordon qui
soulevait le loquet de son huis.
— Mais je suis heureuse que tu sois venu, ajouta-t-elle
sans se retourner.
Puis la porte se referma, et elle disparut.
Sir Geoffrey Carr avait commencé à croire que son entreprise
bretonne était une erreur. Pendant longtemps, il n’avait pas trouvé trace de
Thomas de Hookton, et lorsque, enfin, celui-ci avait fait son apparition, il
n’avait fait aucune tentative pour découvrir quelque trésor que ce fut. C’était
un vrai mystère. Pendant ce temps, les dettes de sir Geoffrey ne faisaient que
s’accumuler. Mais enfin, un beau jour, l’Épouvantail finit par découvrir les
plans qu’ourdissait ce maudit archer. Cette découverte le conduisit tout droit
chez maître Belas.
La pluie ruisselait sur la ville de La Roche-Derrien.
C’était l’un des hivers les plus humides de mémoire d’homme. Le fossé, sous les
fortifications, était rempli comme des douves et les prés des bords de la
rivière Jaudy ressemblaient à des lacs. Les rues de la ville étaient gluantes
d’une boue qui collait aux chaussures ; les femmes se rendaient au marché
maladroitement juchées sur des socques de bois qui glissaient traîtreusement
dans les rues en pente, sans pour autant épargner le bord de leurs robes et de
leurs capes. Le seul avantage de ce déluge était la protection qu’il offrait
contre le feu et, pour les Anglais, la certitude qu’un éventuel siège de la
ville en serait rendu fort difficile. Les machines de guerre, catapultes,
trébuchets ou bombardes, nécessitaient une base solide, et non pas un
bourbier ; de même, les hommes ne pouvaient donner l’assaut en pataugeant
dans un marécage. On disait que Richard Totesham priait pour demander davantage
de pluie encore et qu’il rendait grâces au ciel chaque matin à la vue des
nuages gris, bas et gorgés d’eau.
— Quel hiver humide, sir Geoffrey, dit aimablement
Belas en accueillant l’Épouvantail, avant d’examiner son visiteur du coin de
l’œil.
L’Anglais était doté de traits grossiers d’une laideur
repoussante. Ses
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