L'archer du Roi
signe de
croix, imité par les deux valets.
Taillebourg poussa les trois tisonniers au bord de la table.
Aussitôt, le plus petit des valets traversa la pièce en courant, les saisit et
les plongea dans le feu.
— Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous employons la
douleur, poursuivit le dominicain. Nous ne l’employons pas non plus sans motif,
mais à regret, en adressant nos prières à Dieu, et le cœur rempli de pitié et
d’une grave inquiétude pour ton âme immortelle.
— Tu es un assassin, dit Thomas, et ton âme va brûler
en enfer.
— Bien, poursuivit l’inquisiteur sans s’émouvoir, nous
allons commencer par le livre. Tu as dit à frère Germain, à Caen, que ce livre
était l’œuvre de ton père. Est-ce vrai ?
Et la séance commença. Au début, il ne s’agit que d’une série
de simples questions auxquelles Thomas, consumé de haine, une haine nourrie par
le souvenir du corps pâle et ensanglanté d’Eléonore, refusa de répondre. Mais
ces questions, insistantes et incessantes, étaient accompagnées de la menace
des trois tisonniers qui chauffaient dans la cheminée et du cortège de douleur
qu’ils représentaient.
Thomas se persuada alors que Taillebourg savait certaines
choses et que le mal ne serait pas bien grand s’il lui en disait d’autres. Par
ailleurs, ce dominicain se montrait fort compréhensif et si patient ! Il
supportait la fureur de son prisonnier, il ignorait les insultes, il ne cessait
de répéter qu’il ne souhaitait pas employer la torture, que ce qu’il
recherchait, c’était la vérité, même partielle. Aussi, au bout d’une heure,
Thomas se mit-il à répondre aux questions. Pourquoi souffrir, se demandait-il,
s’il ne possédait pas ce que le dominicain voulait ? Il ignorait où se
trouvait le Graal, il n’était même pas certain de son existence.
De façon hésitante au début, avec plus de conviction
ensuite, il parla.
Il existait un livre, oui, et la plupart des textes étaient
écrits dans des langues et des écritures étranges. Thomas affirma qu’il n’avait
aucune idée de ce que signifiaient ces mystérieux passages. Il reconnut qu’il
connaissait le latin et qu’il avait lu les passages du livre écrits dans cette
langue, mais il les décrivit comme vagues, répétitifs et sans grande utilité.
— Ce n’étaient que des récits, des histoires, dit-il.
— Quel genre de récits ?
— Un homme fut guéri de sa cécité après avoir regardé
le Graal et ensuite, parce qu’il était déçu de son aspect, il reperdit la vue.
— Loué soit le Seigneur ! intervint frère
Cailloux, avant de tremper sa plume dans l’encre et de consigner le miracle.
— Quoi d’autre ? demanda Taillebourg.
— Des histoires de soldats qui gagnèrent des batailles
grâce au Graal, des histoires de guérisons.
— Y crois-tu ?
— Aux histoires ? (Thomas fit semblant de
réfléchir, puis hocha la tête.) Si Dieu nous a donné le Graal, mon père, le
Graal opère sûrement des miracles.
— Ton père possédait-il le Graal ?
— Je ne sais pas.
Le dominicain l’interrogea alors sur son père. Thomas le lui
décrivit arpentant la plage de galets de Hookton en gémissant sur ses péchés
et, parfois, en prêchant aux animaux sauvages qui peuplaient la mer et le ciel.
— Veux-tu dire qu’il était fou ? demanda
Taillebourg.
— Il était fou de Dieu.
— Fou de Dieu, répéta l’inquisiteur, comme si ces mots
l’intriguaient. Veux-tu dire par là que c’était un saint ?
— Je pense que beaucoup de saints étaient sûrement
comme lui, mais il se moquait aussi beaucoup de la superstition, répondit le
jeune archer avec précaution.
— Que veux-tu dire ?
— Il aimait beaucoup saint Guinefort et il faisait
appel à lui dès qu’une difficulté mineure apparaissait.
— Est-ce se moquer que cela ? demanda Taillebourg.
— Saint Guinefort était un chien, expliqua Thomas.
— Je connais saint Guinefort, répliqua Taillebourg avec
irritation, mais veux-tu dire par là que Dieu ne peut pas se servir d’un chien
pour atteindre Ses buts sacrés ?
— Je veux dire que mon père ne croyait pas qu’un chien
pouvait être un saint, et donc, il s’en moquait.
— Se moquait-il du Graal ?
— Jamais ! s’exclama Thomas avec sincérité. Pas
une seule fois !
— Et dans ce livre, demanda Taillebourg, revenant sans
transition à son sujet, dit-il comment le Graal est venu en
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