L'archer du Roi
feu,
c’est les braseros.
— Qui ? intervint Thomas.
— Pour ça oui, il aime les braseros, pour sûr, mais pas
sur un plancher de bois, je lui ai dit.
— Qui ? insista Thomas.
— Je n’ai pas envie qu’il fasse brûler la maison !
Pas de brasero, je lui ai dit, pas sur un plancher de bois, ce qui fait qu’il
nous faut prendre la cheminée.
L’homme imposant contempla le feu quelque temps.
— Il brûle que c’en est un vrai plaisir, hein ?
Après avoir garni le feu d’une demi-douzaine de bûches de
bonne taille, il recula, jeta un regard à Thomas en passant, puis secoua la
tête comme si le prisonnier était un cas désespéré et quitta la pièce, flanqué
de son compagnon.
Le bois sec nourrissait les flammes qui s’élevaient
joyeusement. Des volutes de fumée ondoyaient dans la pièce. Thomas, dans un
soudain accès de rage, tira sur les menottes de toute la force de ses muscles
d’archer, tentant désespérément d’arracher l’anneau de fer, mais avec pour seul
résultat de creuser encore un peu plus les plaies de ses poignets ensanglantés.
À tout hasard, il examina le plafond, fait de simples planches posées sur des
poutres. Sans doute constituait-il le plancher de la pièce du haut. Il n’avait
pas entendu de bruits de pas au-dessus de sa tête… mais celui qu’il entendait à
présent s’arrêtait devant la porte. Il recula vers le mur.
Une femme et un enfant entrèrent. Thomas s’accroupit pour
cacher sa nudité, et la femme rit devant sa pudeur. L’enfant rit aussi et
Thomas mit quelques secondes à comprendre que c’était le fils de Jeannette.
Charles le regarda avec intérêt, mais sans le reconnaître. La femme était
grande, blonde, très jolie et enceinte. Elle portait une robe bleu pâle bordée
de dentelle blanche et de petites boucles de perles étaient attachées au-dessus
de son ventre gonflé. Sa tête était recouverte d’un hennin bleu muni d’une
voilette, qu’elle releva afin de mieux voir le prisonnier. Celui-ci leva les
genoux pour se cacher, mais la femme traversa la pièce d’un pas décidé pour le
dévisager.
— Quelle pitié ! déclara-t-elle.
— Pourquoi ?
Elle ne prit pas la peine de donner d’explication.
— Êtes-vous vraiment anglais ? demanda-t-elle.
Thomas ne répondit pas, ce qui irrita visiblement la belle.
— Ils sont en train de bâtir un chevalet, en bas,
monsieur l’Anglais. Avec des treuils et des cordes pour vous écarteler.
Avez-vous déjà vu un homme après le chevalet ? Il s’affaisse sur lui-même.
C’est fort comique, mais pas pour l’homme en question, je présume.
De nouveau, Thomas fit mine de l’ignorer. En revanche, il
s’intéressa à l’enfant aux joues rondes, aux cheveux noirs et aux yeux noirs et
vifs de Jeannette, sa mère.
— Te souviens-tu de moi, Charles ? demanda-t-il au
petit garçon, qui le regarda sans comprendre. Ta maman t’envoie toute son
affection.
Cette fois, les yeux de l’enfant s’écarquillèrent.
— Maman ? demanda-t-il.
La femme attrapa Charles par la main et le tira en arrière
comme si le prisonnier était atteint d’une maladie contagieuse.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle d’un ton furieux.
— Ta maman t’aime, Charles, reprit Thomas.
L’enfant le dévisageait avec de grands yeux.
— Qui êtes-vous ? répéta la femme.
Au même moment, la porte s’ouvrit et elle se retourna.
Un dominicain entra. C’était un homme décharné, de haute
taille, aux cheveux gris et au visage maigre où brillaient deux yeux à
l’expression féroce. Il fronça les sourcils à la vue de la femme et de
l’enfant.
— Vous ne devriez pas être ici, madame, dit-il d’un ton
coupant.
— Vous oubliez qui commande ici, prêtre ! répliqua
la femme enceinte.
— C’est votre époux, riposta le religieux, et il ne veut
point vous voir ici, aussi, sortez !
Le religieux lui tint la porte et la femme, dont Thomas
supposait qu’il s’agissait de la dame de Roncelet, hésita quelques secondes,
puis sortit d’un pas aussi majestueux que son état le lui permettait. Un
deuxième dominicain entra, plus jeune, petit et chauve, portant un linge replié
sur un bras et une jatte d’eau. Il était suivi des deux valets en froc qui
avançaient, mains jointes et yeux baissés, pour aller se placer près du feu. Le
religieux ascétique ferma la porte et s’avança vers la table, imité par ses
compagnons.
— Qui êtes-vous ? demanda Thomas,
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