L'archer du Roi
ceinture, puis secoua ses rênes.
Les sept cavaliers tournèrent bride et dévalèrent la pente
de la colline, non sans avoir frôlé Robbie comme pour l’inciter à les attaquer.
Mais Robbie ne tomba pas dans le piège.
— Que voulait-il, ce bâtard ? s’enquit-il.
Thomas décocha une nouvelle flèche, qui effleura la baguette
avec l’empenne.
— Je crois, dit-il, qu’il voulait m’aider à trouver le
Graal.
— T’aider ! s’exclama Robbie. T’aider à trouver le
Graal ? Du diable si c’est pour t’aider ! Il veut le voler,
oui ! Cette canaille serait capable de voler le lait des tétons de la
Vierge Marie.
— Robbie ! le reprit Jeannette, choquée, avant de
pointer son arbalète sur la baguette.
— Prends garde, conseilla Thomas à Robbie. Elle va
fermer les yeux quand elle va tirer, comme d’habitude.
— Va-t’en au diable ! s’écria la jeune femme.
Mais, comme elle ne pouvait faire autrement, elle ferma les
yeux en tirant sur la détente. Le carreau sortit de son logement avec un bruit
sec et fendit les airs, allant comme par miracle amputer le sommet de la
baguette d’une longueur de six pouces. Jeannette adressa un regard de triomphe
à son amant.
— Je tire mieux que toi les yeux fermés !
fanfaronna-t-elle.
Maintenant que l’Épouvantail et ses sbires avaient disparu,
ils ne pensaient plus à la menace qui les avait fait accourir à la rescousse de
Thomas, après que Robbie, du haut du mur d’enceinte, eut compris que leur
présence était nécessaire.
Les quatre amis s’installèrent au soleil en s’adossant au
moulin. Jeannette avait les yeux fixés sur la muraille en contrebas, réparée
avec une pierre de couleur plus claire, et portant toujours les traces de la
brèche faite par l’attaque anglaise.
— Es-tu vraiment de noble naissance ?
demanda-t-elle à Thomas.
— De naissance bâtarde ! ricana son amant.
— Mais le bâtard d’un noble ?
— Oui, il était comte d’Astarac.
Puis il rit, car il lui parut étrange de songer que le père
Ralph, le fou qui prêchait aux goélands de la plage de Hookton, était un noble.
— Quelles sont les armoiries d’Astarac ? s’enquit
Jeannette.
— C’est une éalé qui tient une coupe, répondit-il.
Il lui montra le petit morceau d’argent incrusté dans le
bois de son arc, sur lequel était gravée cette bizarre créature munie de
cornes, de sabots fourchus, de défenses et d’une queue de lion.
— Je vais te faire coudre une bannière, annonça la
jeune femme.
— Une bannière ? Pourquoi ?
— Un noble doit exposer ses armoiries.
— Et toi, tu dois quitter La Roche-Derrien, rétorqua
Thomas.
Il ne cessait de vouloir la convaincre de quitter la ville,
mais elle ne voulait rien entendre. À présent, elle doutait de jamais pouvoir
récupérer son fils et elle était déterminée à tuer Charles de Blois avec un
carreau d’arbalète. Ses traits étaient taillés dans un bois de hêtre bien
dense, terminés par une pointe de fer et garnis non de plumes, mais de morceaux
de cuir rigide, insérés dans des fentes coupées en croix dans le hêtre, et liés
avec du chanvre et de la colle.
Là était la raison qui la poussait à s’entraîner avec
assiduité : elle formait le dessein d’abattre l’homme qui l’avait violée
et lui avait pris son enfant.
Pâques arriva avant l’attaque ennemie. Il faisait bon à
présent. Les haies regorgeaient de nids et les prairies résonnaient du cri des
perdrix. Le lendemain de Pâques, alors que l’on finissait les restes du festin
qui avait marqué la fin du jeûne de carême, la nouvelle tant redoutée arriva de
Rennes.
Charles de Blois s’était mis en marche.
Plus de quatre mille hommes quittaient Rennes sous la
bannière à l’hermine blanche du duc de Bretagne. Deux mille étaient des
arbalétriers, la plupart vêtus de la livrée verte et rouge de Gênes et arborant
les armes de la ville, le Saint-Graal, sur le bras droit. C’étaient des
mercenaires, engagés et appréciés pour leur adresse. Un millier de fantassins,
ceux qui creuseraient les tranchées et partiraient à l’assaut des murs brisés
des forteresses anglaises, marchaient avec eux. Et plus d’un millier de
chevaliers ou d’hommes d’armes, en majorité français, formaient le cœur
puissamment cuirassé de l’armée du duc Charles. Ils avançaient sur La
Roche-Derrien, mais le véritable but de la campagne n’était pas de prendre la
ville,
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