L'archer du Roi
n’ai jamais aimé les choses écrites, fit remarquer
Skeat, elles ne sont point naturelles. Pourrais-tu lui écrire ?
— Je peux essayer.
Thomas, bien qu’il fut capable de tendre une corde d’arc et de
tenir un bâton, ou même une épée, ne parvenait pas à tenir la plume.
Il essaya, mais ses lettres étaient maladroites et
incontrôlées. Au bout du compte, un scribe de Totesham écrivit la lettre, bien
que Totesham lui-même ne crût pas à l’utilité d’un tel message.
— Charles de Blois sera ici avant que nous ayons reçu
le moindre renfort, prédit-il.
Totesham n’était pas à son aise avec le jeune archer, car
celui-ci lui avait désobéi en se rendant à Roncelet. Mais son châtiment avait
été bien pire que ce qu’eût souhaité le chef de la garnison, qui lui accordait
donc toute sa compassion.
— Veux-tu porter la lettre au comte ? demanda-t-il
à Thomas.
Ce dernier comprit qu’on lui offrait une échappatoire, mais
il secoua la tête.
— Non, je reste ici, répondit-il.
La lettre fut confiée à un capitaine de bateau qui prenait
la mer le lendemain.
C’était un geste inutile, et Totesham le savait, car sa
garnison était condamnée de façon quasi certaine. Pas un jour ne passait sans
que Charles de Blois ne reçoive de nouveaux renforts, et les incursions de
l’ennemi poussaient désormais jusque sous les murs de La Roche-Derrien. Les
gens de Charles harcelaient les soldats anglais qui battaient la campagne à la
recherche de bétail, de chèvres et de moutons à ramener en ville pour les
abattre et les mettre au saloir.
Messire Guillaume prenait grand plaisir à ces sorties.
Depuis qu’il avait perdu Evecque, il était devenu fataliste et si sauvage que
l’ennemi avait déjà appris à se méfier du jupon bleu aux trois faucons jaunes.
Mais un soir, rentrant d’une longue journée qui ne lui avait rapporté que deux
chèvres, il vint trouver Thomas, le visage fendu d’un large sourire.
— Mon ennemi, le comte de Coutances, que Dieu damne son
âme pourrie, s’est joint à Charles, annonça-t-il. J’ai tué l’un de ses hommes
ce matin et je regrette que ce n’ait point été ce maudit comte de Coutances en
personne.
— Que fait-il ici ? s’étonna Thomas. Il n’est pas
breton.
— Philippe de France envoie des gens à son neveu,
expliqua messire Guillaume. Pourquoi diable le roi d’Angleterre n’envoie-t-il
pas de renforts à lui opposer ? Estime-t-il que Calais est plus
importante ?
— Oui.
— Calais, prononça messire Guillaume d’un ton dégoûté,
c’est le trou du cul de la France.
Il prit soin de se débarrasser du morceau de viande qui
s’était coincé entre ses dents avant de poursuivre :
— Et tes amies sont sorties aujourd’hui.
— Mes amies ?
— Oui, les guêpes.
— Roncelet.
— Nous nous sommes battus contre une demi-douzaine de
ces bâtards dans un village perdu, expliqua messire Guillaume. Je me suis fait
un plaisir de planter une lance dans un ventre noir et jaune. Il toussait,
après.
— Il toussait ?
— C’est à cause de ce temps humide, tu comprends,
Thomas. Ça fait tousser. Alors je l’ai laissé où il était pour aller tuer un
autre coquin, et ensuite, je suis revenu calmer sa toux. Je lui ai tranché la
tête.
Robbie accompagnait messire Guillaume et, comme lui, faisait
la collecte des pièces sur les morts ennemis. Mais s’il participait à ces
expéditions, c’était dans l’espoir de rencontrer Guy Vexille. Il savait que
c’était lui qui avait tué son frère avant la bataille de Durham. À l’église
Saint-Renan, il avait posé sa main sur la croix de l’autel et juré de venger
son frère.
— Je tuerai Guy Vexille et Taillebourg, j’en fais le
serment.
— Non, ils sont à moi, avait protesté Thomas.
— Pas si je tombe dessus le premier.
Robbie s’était trouvé une Bretonne aux yeux bleus, prénommée
Oana, qui ne le quittait pas d’une semelle et, par conséquent, l’accompagnait
lorsqu’il se promenait avec Thomas.
Un jour qu’ils partaient pour le moulin, elle apparut tenant
à la main le grand arc noir de l’archer.
— C’est impossible, je ne pourrai pas m’en
servir ! s’exclama Thomas, affolé.
— Alors à quoi sers-tu, par tous les diables ?
répondit Robbie.
Il convainquit son ami de s’entraîner à tendre la corde et
lui prodigua force encouragements pendant que celui-ci s’adonnait à l’exercice.
Désormais, ils se
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