L'archer du Roi
dont la valeur était négligeable, mais plutôt d’attirer sir Thomas
Dagworth et sa petite armée dans une bataille destinée à lâcher les chevaliers
et les hommes d’armes montés sur leurs grands destriers caparaçonnés dans les
rangs anglais pour les écraser.
Un convoi de lourds chariots transportait neuf machines de
siège requérant le savoir-faire de plus d’une centaine d’ingénieurs chargés de
les assembler et de les faire fonctionner. Ces appareils géants étaient
capables de projeter des boulets gros comme des tonneaux de bière à une
distance qui dépassait celle des flèches tirées par les archers. Un
constructeur de canons de Florence avait proposé ses étranges machines à
Charles, mais celui-ci avait décliné son offre. Car les canons étaient rares,
chers et, selon lui, capricieux, tandis que les vieilles machines mécaniques
travaillaient bien à condition d’être soigneusement graissées au suif. Il n’y
avait donc aucune raison de les abandonner.
Une armée de quatre mille hommes quitta Rennes, mais les
champs des alentours de La Roche-Derrien en virent arriver bien davantage. Car
les gens de la campagne, gonflés de haine, étaient venus grossir les rangs de
l’armée du duc pour se venger du bétail, des récoltes, des propriétés et des
virginités que leurs familles avaient perdus au profit des étrangers. Certains
ne disposaient pour tout armement que d’une pioche ou d’une hache, mais il
était établi que lorsque le temps serait venu de donner l’assaut, ces hommes en
colère seraient fort utiles.
À l’arrivée de son armée à La Roche-Derrien, Charles de
Blois entendit la dernière porte de la ville se fermer à grand bruit. Il
dépêcha un messager afin de demander à la garnison de se rendre, tout en
sachant que sa requête était vaine. Et tandis que l’on dressait les tentes, il
expédia des cavaliers en patrouille sur les routes menant vers le Finistère,
avec pour mission de l’avertir lorsque sir Thomas Dagworth aurait commencé à
marcher sur la ville pour assurer la relève. Ses espions avaient rapporté à
Charles que le nombre d’hommes levés par Dagworth n’atteignait pas le millier.
— Et parmi eux, combien d’archers ? demanda-t-il.
— Au moins cinq cents, Votre Grâce.
Celui qui répondit appartenait à la nombreuse suite de
religieux gravitant dans le sillage du duc. Charles était connu pour sa piété
et aimait à s’entourer de conseillers, secrétaires et, comme c’était le cas
pour son interlocuteur, de maîtres espions, dûment ordonnés.
— Au moins cinq cents, répéta le tonsuré, mais, en
vérité, Votre Grâce, beaucoup moins.
— Beaucoup moins ? Comment cela ?
— Il y a la fièvre dans le Finistère, répondit le
prêtre avec un sourire entendu. Dieu est bon pour nous.
— Amen. Et combien d’archers dans la garnison de la
ville ?
— Soixante hommes en bonne santé. Votre Grâce, soixante
tout juste, affirma le religieux-espion qui était en possession du dernier
rapport de Belas.
Charles fit la grimace. Il avait déjà été défait par les
archers anglais, alors même qu’il les dépassait tellement en nombre que la
défaite avait paru impossible. L’expérience l’avait donc rendu méfiant. Mais il
avait également fait travailler sa cervelle et avait longuement réfléchi à la
question des arcs de guerre anglais. À son avis, il était possible de venir à
bout de ces armes, et il allait le démontrer au cours de cette campagne.
L’intelligence, la plus méprisée des qualités du soldat, allait triompher. Et
Charles de Blois, désigné par les Français comme duc et souverain de Bretagne,
était indéniablement un homme intelligent. Capable de lire et d’écrire en six
langues, parlant le latin mieux que bien des religieux, il était également
passé maître en rhétorique. Son aspect physique lui-même, son fin visage pâle,
ses yeux d’un bleu intense, sa barbe et sa moustache claires, trahissaient
l’intelligence. Depuis qu’il avait atteint l’âge adulte, il se battait contre
ses rivaux qui convoitaient le duché, mais il avait enfin réuni toutes les
chances de l’emporter. Le roi d’Angleterre faisait le siège de Calais en
négligeant de renforcer ses garnisons bretonnes, tandis que le roi de France,
l’oncle de Charles, s’était montré généreux en hommes, ce qui lui permettait de
surpasser ses ennemis en nombre. Dès la fin de l’été, il aurait recouvré
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