L'archer du Roi
Et ces quatre
forts, même le plus petit, contiendrait plus de défenseurs que les Anglais
n’auraient d’assaillants, et ces défenseurs seraient protégés, et leurs armes
seraient mortelles, et les Anglais seraient massacrés, et la Bretagne passerait
à la Maison de Blois.
L’intelligence. C’était avec l’intelligence que se gagnaient
les guerres et que se forgeaient les renommées. Et une fois que Charles aurait
montré comment on défaisait les Anglais ici, il les déferait dans toute la
France.
Car Charles rêvait d’une couronne plus lourde que la petite
couronne ducale de Bretagne. Il rêvait de la France. Mais tout commencerait
ici, dans les champs inondés qui entouraient La Roche-Derrien. Ce serait en ce
lieu que l’archer anglais serait envoyé là où était sa place.
En enfer.
Les neuf machines de siège étaient des trébuchets. Les plus
volumineux étaient capables de lancer une pierre pesant deux fois le poids d’un
homme adulte à près de trois cents pas. Tous avaient été fabriqués à
Regensburg, en Bavière, et les maîtres ingénieurs qui les accompagnaient
étaient des Bavarois qui en connaissaient tous les secrets. Les deux plus gros
étaient dotés de bras de lancement dépassant les cinquante pieds de longueur et
ceux des deux plus petits, placés au loin, sur la rive de la Jaudy pour menacer
le pont et sa barbacane, atteignaient les trente-six pieds.
Les deux plus gros, joliment baptisés Passage pour l’Enfer
et Faiseur de Veuves, étaient placés au pied de la colline au moulin. Leur
mécanique était assez simple, se résumant à une longue poutre montée sur un
axe, suivant le principe du jeu de bascule, mais qui était trois fois plus
longue d’un côté de la bascule que de l’autre. Le côté le plus court était
lesté d’une énorme caisse de bois remplie de poids de plomb, tandis que le plus
long, celui qui envoyait le projectile, était attaché à un grand treuil qui
l’entraînait vers le sol, soulevant par la même occasion les dix tonnes de
contrepoids. Le projectile de pierre était placé dans une fronde de cuir
d’environ quinze pieds de longueur, attachée au bras le plus long. Lorsque la
descente du contrepoids était déclenchée, le bras le plus long s’élevait
brutalement, la fronde fouettait l’air, propulsant son boulet qui allait
s’écraser sur sa cible en décrivant un arc de cercle. C’était très simple. En
revanche, ce qui l’était moins, c’était de garder le mécanisme graissé au suif,
de construire un treuil assez puissant pour entraîner la longue poutre jusqu’au
sol, de fabriquer une caisse assez résistante pour pouvoir supporter les chocs
répétés sur le sol sans se rompre en renversant ses dix tonnes de plomb et,
chose encore plus compliquée, de créer un engin apte à maintenir le long bras à
terre contre le poids du plomb, tout en étant capable de relâcher la poutre
sans la briser. Telles étaient les matières dans lesquelles les Bavarois
excellaient, et pour lesquelles ils étaient grassement rémunérés.
Beaucoup prétendaient que le savoir de ces Bavarois était
devenu inutile. Une nouvelle arme, le canon, réussissait à lancer ses
projectiles avec plus de force tout en étant bien moins encombrante, mais le
duc Charles s’était servi de son intelligence pour faire la comparaison et
avait opté pour l’ancienne technologie. Les canons étaient enclins à des
explosions ayant le fâcheux effet de faire sauter avec eux les artilleurs qui
coûtaient si cher. Ils étaient également d’une lenteur désespérante.
En effet, l’espace entre le projectile et le fût du canon
devait être scellé pour contenir la puissance de la poudre, et il était donc
nécessaire d’enduire le boulet avec de la terre argileuse mouillée. Tout cela
prenait du temps pour sécher, et un long moment s’écoulait avant la mise à feu
de la poudre. Les artilleurs les plus qualifiés d’Italie ne pouvaient guère
tirer que trois ou quatre fois par jour. Et lorsqu’un canon tirait, il crachait
un boulet pesant à peine quelques livres. Même s’il était vrai que ce boulet de
petite taille volait si vite qu’il en était invisible, il n’en n’était pas
moins vrai que les bons vieux trébuchets étaient capables de lancer en une
heure trois ou quatre projectiles vingt ou trente fois plus lourds.
Le duc ayant décidé que La Roche Derrien serait bombardée à
l’ancienne, la petite ville fut dûment encerclée
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