L'archer du Roi
terrain découvert, ce
qui nous permettra de le faucher comme le blé.
Des grognements d’approbation s’élevèrent, car les paroles
du duc étaient pleines de bon sens. Les archers ne pourraient pas tuer des
hommes invisibles. Le farouche dominicain lui-même, celui qui était venu avec
les soldats en noir, parut impressionné.
Les cloches de midi sonnèrent en ville. L’une d’elles, la
plus bruyante, était fêlée et sonnait faux.
— La Roche-Derrien est une ville qui ne compte pas,
poursuivit le duc. Peu importe qu’elle tombe ou non. Ce qui importe, c’est
d’attirer l’ennemi à l’extérieur, afin qu’il nous attaque. Dagworth viendra
certainement en renfort pour protéger la ville. Quand il se montrera, nous
l’écraserons et une fois qu’il aura été écrasé, il ne restera plus qu’à prendre
les garnisons anglaises. Nous les prendrons une par une, et à la fin de l’été,
toute la Bretagne sera à nous.
Il parlait lentement en utilisant des mots simples, sachant
que son plan de campagne devait être expliqué clairement à ces hommes qui, pour
vaillants guerriers qu’ils fussent, n’avaient pas une réputation de penseurs.
— Et quand la Bretagne sera à nous, il y aura une manne
de terres, de manoirs et de possessions, promit-il.
Le grondement approbateur alla en s’amplifiant, et les
guerriers arborèrent de larges sourires, car, hormis les terres, les manoirs et
les châteaux, les attendaient d’autres récompenses. Il y aurait de l’or, de
l’argent et des femmes. Des quantités de femmes. Le grondement se mua en éclats
de rire lorsque les futurs vainqueurs s’aperçurent qu’ils pensaient tous à la
même chose.
Charles rappela son auditoire à l’ordre :
— Mais c’est ici que nous préparons notre victoire, et
nous la rendrons possible en privant les archers anglais de leurs cibles. Les
archers ne peuvent pas tuer des hommes qu’ils ne voient pas !
Il fit une nouvelle pause pour scruter les visages, et les
hommes de guerre opinèrent du chef. Enfin, la vérité toute simple de cette
affirmation avait pénétré dans leurs crânes.
— Nous serons tous à l’intérieur de nos forts, chacun à
l’intérieur du sien, et quand l’armée anglaise arrivera pour faire lever le
siège, elle attaquera l’un de ces quatre forts. Cette armée anglaise sera
réduite. Moins d’un millier d’hommes ! Supposons qu’ils commencent à
donner l’assaut au fort que je vais construire ici. Que feront ceux qui ne seront
pas avec moi ?
Il attendit les réponses. Au bout d’un moment, le seigneur
de Roncelet, aussi hésitant qu’un écolier répondant à son maître, fronça les
sourcils et proposa :
— Ils viendront au secours de Votre Grâce ?
L’assistance signifia son approbation avec force hochement
de têtes et sourires.
— Non ! tempêta Charles. Non ! Non !
Non !
Il se tut, pour s’assurer que tout le monde avait bien
compris ce simple mot. Puis il expliqua :
— Si vous quittez votre fort, vous offrez une cible à
l’archer anglais ! C’est ce qu’il attend ! Ce qu’il voudra, c’est
nous attirer à l’extérieur de nos murs pour nous faucher avec ses flèches.
Donc, que faisons-nous ? Nous restons derrière nos murs. Nous restons
derrière nos murs !
Comprendraient-ils cela ? C’était la clé de la
victoire. Si les hommes restaient dissimulés aux yeux des archers, les Anglais
seraient vaincus. L’armée de sir Thomas Dagworth serait contrainte de donner
l’assaut à des murs de terre et à des haies épineuses, et les arbalétriers leur
cracheraient leurs carreaux dessus ; et lorsque les Anglais seraient
tellement affaiblis qu’il n’en resterait plus que deux petites centaines sur
pied, le duc lâcherait ses hommes d’armes pour faire un carnage parmi les
rescapés.
— Vous ne quittez pas vos forts, martela-t-il. Ceux qui
quitteront leur fort seront privés de ma générosité.
Une telle menace avait de quoi calmer les ardeurs de ses
guerriers. Afin de lever toute ambiguïté, il précisa :
— Si un seul de vos hommes quitte le refuge des murs,
nous ferons en sorte qu’il ne participe pas à la distribution des terres à la
fin de la campagne. Est-ce clair ?
C’était clair. C’était simple.
Charles de Blois construirait quatre forts qu’il opposerait
aux quatre portes de la ville et les Anglais, lorsqu’ils viendraient, seraient
forcés de prendre d’assaut ces murs nouvellement construits.
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