L'archer du Roi
mourir sur ton écu.
Mais son ami ne se laissa pas troubler par son manque de
goût. Très fier de son bouclier, il l’admira en le tournant en tous sens à la
lueur de la lune.
— Il y avait un gars qui peignait un diable sur le mur
de l’église Saint-Goran. Alors je l’ai payé pour qu’il décore mon écu.
— J’espère que tu ne l’as pas payé trop cher.
— Tu es envieux, c’est tout !
Robbie posa son bel écu contre le parapet avant d’aller
risquer sa vie sur le pont de fortune. Il disparut par la fenêtre, puis
réapparut près de Thomas.
— Qu’est-ce qu’ils font ? s’enquit-il, la tête
tournée vers l’est.
— Jésus ! jura Thomas, car quelque chose venait de
se produire.
Au-delà des formes grises de Passage pour l’Enfer et de
Faiseur de Veuves, des centaines d’hommes étaient en train de former une ligne
de bataille dans le camp est.
Thomas escomptait que la bataille, si elle avait lieu, ne
commencerait pas avant l’aube, et pourtant Charles de Blois se préparait
visiblement à se battre au cœur de la nuit.
— Doux Jésus !
Messire Guillaume, venu les rejoindre au sommet du clocher,
répondit en écho à la surprise de Thomas.
— Ces vils gredins se préparent à se battre, dit Robbie.
En effet, les guerriers de Charles formaient la ligne en
serrant les rangs. Ils tournaient le dos à la ville ; la lune se reflétait
sur les épaulières des armures et peignait de blanc les lames des épées et des
haches.
— Sans doute est-ce Dagworth qui arrive, commenta
messire Guillaume.
— De nuit ? s’étonna Robbie.
— Pourquoi pas ? répliqua messire Guillaume.
Puis il cria à l’un de ses hommes d’armes d’aller rapporter
à Totesham ce qui se passait.
— Réveille-le ! glapit-il, en réponse au brave
homme qui lui demandait ce qu’il devait faire au cas où le chef dormirait. Il
ne dort pas, ajouta-t-il à l’adresse de Thomas. Totesham n’est peut-être qu’un
maudit Anglais, mais c’est un bon soldat.
Totesham ne dormait pas, mais il ignorait que l’ennemi se
mettait en ordre de bataille. Se risquant sur le pont branlant menant au
clocher de Saint-Barnabé, il se hissa jusqu’au sommet et observa les troupes de
Charles en arborant son expression maussade coutumière.
— Je pense qu’il va nous falloir leur donner un coup de
main, dit-il.
— Je croyais que vous n’approuviez pas les sorties hors
des murs ? objecta messire Guillaume, que cette restriction avait irrité.
— C’est la bataille qui va nous sauver. Si nous la
perdons, la ville tombera, aussi devons-nous faire notre possible pour la
remporter, répondit le commandant d’un ton lugubre.
Avec un haussement d’épaules, il tourna les talons.
— Que Dieu nous vienne en aide, dit-il à voix basse en
redescendant dans les profondeurs du clocher.
Il savait que l’armée de sir Thomas Dagworth ne serait pas
nombreuse et il craignait même qu’elle fût encore beaucoup plus réduite qu’il
n’osait l’imaginer, mais la garnison devait se tenir prête à l’aider lorsqu’il
attaquerait l’ennemi.
Pour éviter de lui donner l’alerte, il renonça à faire
sonner les cloches pour rassembler ses troupes, mais dépêcha des gens à travers
toute la ville pour convoquer les archers et les hommes d’armes sur la place du
marché devant l’église Saint-Brieuc.
Thomas retourna chez Jeannette et revêtit son haubergeon,
rapporté par Robbie de l’expédition à Roncelet, puis il fixa son épée à sa
taille, s’empêtrant dans les boucles de la ceinture avec ses doigts toujours
trop gourds pour ce genre de gestes méticuleux. Il accrocha son sac de flèches
à son épaule gauche, sortit l’arc noir de son enveloppe de toile, glissa une
corde de rechange dans son casque avant de le poser sur sa tête. Il était prêt.
Ainsi que Jeannette, comme il le constata. La jeune femme
elle aussi avait mis son haubergeon, ainsi que son heaume. Thomas la dévisagea,
bouche bée :
— Tu ne peux pas sortir avec nous ! protesta-t-il.
— Sortir ? répéta-t-elle, surprise. Mais si vous
quittez la ville, Thomas, qui va garder les murs ?
— Oh ! fit-il, penaud.
Elle sourit, s’avança et lui donna un baiser.
— Allez, va, et que Dieu soit avec toi.
Thomas se rendit sur la place du marché. C’était le lieu de
rassemblement de la garnison, mais, hélas, le nombre de soldats était
extrêmement limité. Un tavernier faisait rouler un tonneau de
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