L'archer du Roi
la bannière de fortune
qui se retrouva à la hauteur du visage de Thomas.
— Veuillez la baiser, prononça-t-il d’un ton solennel.
— La baiser ?
Thomas en resta stupéfait. Baiser ce lambeau d’étoffe qui
répandait des effluves nauséabonds sous son nez ?
— C’est le corporal de saint Cuthbert ! s’écria le
prieur avec exaltation. Sorti de sa tombe, mon fils ! Le bienheureux saint
Cuthbert va se battre pour nous ! Les anges du Ciel eux-mêmes le suivront
dans la bataille !
Thomas, qui avait la vue bouchée par la sainte relique,
obtempéra sur-le-champ. Se mettant à genoux, il porta l’étoffe à ses lèvres. Ce
devait être du lin. Au bord, il distingua une broderie bleue délavée. Au centre
du morceau de tissu, qui était le linge utilisé pendant la messe pour y déposer
le calice et le vase contenant les hosties, se trouvait une croix brodée en fil
d’argent à peine visible sur le lin blanc usé.
— C’est réellement le corporal de saint Cuthbert ?
s’étonna-t-il.
— Le sien, et nul autre ! s’exclama le prieur.
Nous avons ouvert sa tombe à la cathédrale ce matin même. Nous lui avons
adressé nos prières, et il se battra pour nous !
Puis il redressa l’oriflamme et l’agita dans la direction
d’un groupe d’hommes en armes qui éperonnaient leurs montures, prêts à partir
vers le nord, et s’époumona de plus belle :
— Accomplissez l’œuvre de Dieu ! Faites-les tous
passer de vie à trépas ! Répandez dans les champs le fumier de leur chair
pourrie, abreuvez la terre de leur sang félon !
— L’évêque veut que ce jeune homme rencontre frère Hugh
Collimore, intervint le moine qui avait lu la lettre, et le roi le désire
aussi. Sa Seigneurie dit qu’il y a un trésor à retrouver.
— Le roi le désire ?
Le prieur considéra Thomas d’un œil rond.
— Le roi le désire ? répéta-t-il.
Puis il reprit ses esprits et se mit à réfléchir. Il en
arriva à la conclusion que la protection du roi présentait de grands avantages.
Aussi arracha-t-il la missive des mains du frère et la lut-il lui-même. Il y
trouva encore plus d’avantages qu’il ne l’avait supposé.
— Ainsi, vous êtes à la recherche d’un grand thésaurus ?
demanda-t-il à Thomas avec suspicion.
— C’est l’avis de l’évêque, messire.
— Quel trésor ?
Tous les moines, tombés instantanément sous le charme du mot
« trésor », le regardèrent bouche bée en oubliant momentanément la
proximité de l’armée écossaise.
— Le trésor, messire, est connu de frère Collimore,
répondit prudemment Thomas.
— Mais pourquoi est-ce vous que l’on a envoyé ?
Thomas s’attendait à cette question, déjà posée à juste
titre par lord Outhwaite.
— Parce que j’ai certaines connaissances en la matière,
moi aussi, expliqua Thomas tout en se demandant s’il n’en avait pas trop dit.
Le prieur plia la lettre, arrachant le sceau par
inadvertance dans son geste, et l’enfouit dans un petit sac pendu à sa
ceinture.
— Nous en reparlerons après la bataille, déclara-t-il,
et après, et seulement après, je déciderai si vous pouvez rencontrer frère
Collimore. Il est malade, vous savez. Il est au plus bas, le malheureux. Peut-être
même est-il mourant. Il se peut qu’il soit malséant de votre part de le
troubler avec votre requête. Nous verrons, nous verrons.
En réalité, le bon prieur songeait à s’entretenir lui-même
avec son moine, afin d’être l’unique détenteur du secret gardé par celui-ci.
Sans plus s’étendre, il donna congé au jeune archer :
— Dieu vous bénisse, mon fils, dit-il.
Puis il hissa sa bannière sacrée et se hâta d’aller
rejoindre les combattants.
La plus grosse partie de l’armée anglaise était déjà en
train de gravir la côte, ne laissant derrière elle que trois chariots et une
foule de femmes, d’enfants et d’hommes trop mal en point pour pouvoir marcher.
Les moines, en procession derrière leur sainte relique, entonnèrent un cantique
derrière les soldats.
Thomas se dirigea d’un pas vif vers une charrette où il prit
une gerbe de flèches qu’il passa dans sa ceinture. Les hommes d’armes de lord
Outhwaite chevauchaient vers la crête, suivis d’un nombre important d’archers.
— Vous devriez peut-être rester ici, dit-il au père
Hobbe.
— Non ! s’écria Eléonore. Et toi, tu ne devrais
pas aller te battre.
— Pas me battre ?
— Ce n’est
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