L'archer du Roi
pas ta bataille ! argumenta la jeune
femme. Entrons plutôt dans la ville ! Essayons de trouver le moine !
Thomas s’arrêta. Il pensa au prêtre qui avait fait périr
l’Écossais dans un tourbillon de feu et de fumée. Il lui avait parlé en
français. « Je suis un messager », avait dit ce prêtre. « Je
suis un avant-coureur », avaient été ses mots exacts, et un avant-coureur,
c’était bien plus qu’un simple messager. Un héraut, peut-être ? Peut-être
même un ange ?
Le jeune archer était toujours hanté par l’image de ce
combat silencieux entre des hommes si peu accordés, un soldat contre un prêtre.
Et cependant, c’était le prêtre qui avait gagné et qui avait tourné vers lui
son visage maculé de sang et s’était annoncé : « Je suis un
avant-coureur. » C’était un signe, certainement. Mais lui, Thomas, ne
voulait pas croire aux signes ni aux visions, il ne voulait croire qu’à son
arc. Il se dit que, peut-être, Eléonore avait raison, et que la lutte qu’il
avait vue, ainsi que son issue inattendue, étaient le signe par lequel le Ciel
lui indiquait de suivre l’avant-coureur et d’entrer dans la ville.
Mais au sommet de la colline, les ennemis étaient en train
de se préparer, et il était un archer. Les archers ne se dérobaient pas devant
une bataille.
— Nous entrerons dans la ville après la bataille,
dit-il.
— Pourquoi ? s’insurgea Eléonore, furieuse.
Thomas ne prit pas la peine de donner une explication.
Il se mit en marche sans mot dire et entreprit de gravir la
pente d’une colline où les alouettes et les passereaux voletaient dans les
haies, où les grives brunes et grises chantaient dans les pâtures vides. Le
brouillard avait entièrement disparu et le vent soufflait de l’autre côté de la
Wear, chassant l’humidité.
Puis, là-haut, là où les Écossais attendaient le début de
l’assaut, les tambours se mirent à battre.
Sir William Douglas, chevalier de Liddesdale, se prépara
pour la bataille. Il mit des braies de cuir, assez épaisses pour pouvoir dévier
un coup d’épée, et au-dessus de sa chemise de lin, il suspendit un crucifix qui
avait été béni par un prêtre à Saint-Jacques-de-Compostelle, là où saint
Jacques avait été enterré. Sir William Douglas n’était pas un homme particulièrement
pieux, mais il payait un prêtre pour s’occuper de son âme, et celui-ci lui
avait affirmé que s’il portait le crucifix de saint Jacques, le fils du
tonnerre, il aurait l’assurance de recevoir les derniers sacrements dans le
havre douillet de son lit.
Autour de sa taille, il attacha un ruban de soie rouge qui
avait été arraché à l’une des bannières prises aux Anglais à Bannockburn, et
trempée dans l’eau bénite de la chapelle de son château de l’Hermitage. Il
s’était persuadé que le morceau de soie lui procurerait la victoire sur le
vieil ennemi tant détesté.
Il portait un haubergeon qu’il avait pris sur un Anglais tué
au cours de l’une de ses nombreuses incursions au-delà de la frontière. Il se
souvenait parfaitement de l’événement. Dès le début du combat, il avait
remarqué la qualité de cet haubergeon et il avait ordonné à ses hommes de
laisser ce coquin tranquille, puis il avait désarçonné sa proie en la frappant
aux chevilles, et l’Anglais, à genoux, avait émis une sorte de meuglement qui
avait fait s’esclaffer ses hommes. L’homme s’était rendu, mais sir William lui
avait tranché la gorge malgré tout car il pensait qu’un homme qui meuglait
n’était pas un vrai guerrier.
Il avait fallu deux semaines aux servantes de l’Hermitage
pour faire disparaître le sang du beau maillage de la cotte.
La plupart des chefs écossais étaient vêtus de hauberts qui
les recouvraient de la tête aux mollets, tandis que l’haubergeon était plus
court et laissait les jambes sans protection. Mais sir William avait
l’intention de se battre à pied ; or le poids d’un haubert affaiblissait
rapidement son homme, et un homme fatigué était une proie facile.
Par-dessus le haubergeon, il portait un long surcot arborant
son blason, le cœur rouge. Son heaume était une salade, un casque léger de
forme ronde sans visière ni protection pour le visage, mais, dans une bataille,
sir William aimait à voir ses ennemis sur la gauche et sur la droite. En
portant un heaume complet ou muni d’un bassinet, la visière à la mode,
proéminente comme un groin, on était
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