L'archer du Roi
son
maître.
— Mille excuses, Monseigneur, dit-il, mais Hereward
tirait de son côté, ce qui fait qu’il m’a tiré loin de vous !
Hereward était à l’évidence le destrier qu’il amenait.
— Donne-le au jeune homme que voici, dit lord
Outhwaite. Vous savez monter ? ajouta-t-il à l’adresse de Thomas.
— Oui, Monseigneur.
— Prenez garde, Hereward est une forte tête, il va vous
donner du fil à retordre. Ne craignez pas de le frapper fort, qu’il sache qui
est le maître.
Une vingtaine d’hommes portant la livrée de lord Outhwaite,
tous montés à cheval et tous vêtus d’une armure en meilleur état que celle de
leur maître, vinrent les rejoindre. Lord Outhwaite leur fit tourner bride vers
le sud.
— Nous étions tranquillement en train de marcher vers
Durham en nous occupant de nos propres affaires, comme tous les bons chrétiens,
lorsque nous sommes tombés sur ces damnés Écossais, raconta-t-il à Thomas. Nous
n’allons pas pouvoir entrer à Durham maintenant. C’est là que je me suis marié.
À la cathédrale. Il y a trente ans, est-ce concevable ? (Il eut un sourire
radieux.) Et ma chère Margaret est toujours en vie, que Dieu soit loué. Elle se
réjouira fort d’entendre votre récit. Vous étiez vraiment à Wadicourt ?
— Oui, Monseigneur.
— Vous êtes chanceux, bien chanceux ! dit lord
Outhwaite.
À nouveau rejoint par quelques-uns des siens, il leur intima
l’ordre de faire demi-tour afin d’éviter une fâcheuse rencontre avec les
Écossais.
Thomas n’avait pas été long à s’apercevoir que son
compagnon, en dépit de sa cotte de mailles usée et de son aspect dépenaillé,
était un grand seigneur comptant parmi les chefs de la région du nord. Sa
Seigneurie le conforta dans son opinion en lui apprenant d’un ton bourru que le
roi, estimant sa présence indispensable en Angleterre pour arrêter une
éventuelle invasion écossaise, lui avait interdit d’aller guerroyer en France.
— Et il avait diablement raison ! s’exclama le
noble guerrier d’un ton non dénué d’une certaine surprise. Les misérables ont
franchi leur frontière au sud ! Vous ai-je dit que mon fils aîné était en
Picardie ? C’est pourquoi je porte ceci, dit-il tirant sur son antique
cotte de mailles. Je lui ai donné notre meilleure armure parce que je pensais
que nous n’en aurions pas besoin ici ! Ce jeune David d’Écosse m’a
toujours semblé pacifique, mais voilà qu’il envahit l’Angleterre ! Est-il vrai
que la bataille de Wadicourt fut sanglante ?
— C’était le champ de la mort, Monseigneur.
— La leur, pas la nôtre, que Dieu et ses saints en
soient remerciés !
Sa Seigneurie rappela à l’ordre quelques archers éparpillés
au sud.
— Ne traînez pas, leur cria-t-il en anglais, les
Écossais vous tomberont dessus bien assez tôt !
Il revint à Thomas et, avec un large sourire, lui demanda,
toujours en anglais :
— Dites-moi, qu’auriez-vous fait si mes pas ne
m’avaient conduit jusqu’ici ? Vous auriez tranché la gorge à l’Épouvantail ?
— Oui, s’il l’avait fallu.
— Et la vôtre aurait été tranchée incontinent par ses
gens ! répliqua joyeusement lord Outhwaite. Ce maraud-là est un pot de
chambre puant. Dieu seul sait pourquoi sa mère n’a pas noyé à sa naissance
cette merde née de sa colique, mais il faut dire que c’était elle-même une
fieffée sorcière, un vrai bâton merdeux.
Comme bien des seigneurs, lord Outhwaite avait complété son
éducation auprès des valets et servantes de ses parents, ce qui expliquait la
verdeur de son langage.
— Il mérite sans aucun doute qu’on lui tranche la
gorge, l’Épouvantail, mais mieux vaut éviter de s’en faire un ennemi. Nul n’a
jamais eu la rancune plus tenace, mais il a des rancunes à foison, tellement
qu’il ne lui reste peut-être plus de place pour une de plus. Par-dessus tout,
il hait sir Douglas.
— Pourquoi ?
— Parce que Willie l’a retenu prisonnier. Certes,
Willie Douglas nous a presque tous retenus prisonniers à un moment ou à un
autre, et certains d’entre nous lui ont rendu la politesse, mais la rançon
qu’il exigea fut bien près d’étrangler sir Geoffrey. Ses gens se réduisent à
une vingtaine d’hommes et je serais surpris s’il lui restait plus de trois
demi-pennies en poche. L’Épouvantail est pauvre, très pauvre, mais il est fier,
et voilà pourquoi il vaut mieux éviter de s’en faire un
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