L'archer du Roi
importantes…
Thomas, à qui sa haute taille permettait de voir par-dessus
les lignes anglaises, avait pu constater que les archers n’étaient pas très
nombreux dans les rangs ennemis. Çà et là, on apercevait quelques grands arcs
le long de leur ligne, et quelques arbalètes émaillaient la forêt de piques.
Les archers étaient donc en nombre incomparablement plus réduit que chez les
Anglais qui, en revanche, disposaient d’un nombre de combattants largement
inférieur à celui des Écossais. Aussi la bataille, si elle devait avoir lieu,
se jouerait-elle entre les archers anglais et les piquiers et hommes d’armes
écossais. Et si les flèches venaient à manquer, la crête se transformerait en
cimetière anglais.
Thomas se dirigea vers la bannière de lord Outhwaite, qu’il
venait de déceler dans le corps d’armée de gauche. Dans l’intervalle qui
séparait les divisions de gauche et du centre, il aperçut le prieur, qui avait
mis pied à terre. L’un de ses moines balançait un encensoir, tandis qu’un autre
brandissait la relique sacrée au bout de son pieu. Le saint homme était en
train de s’époumoner, mais le vacarme des Écossais empêchait Thomas d’entendre
s’il hurlait des insultes à l’ennemi ou s’il envoyait des prières au firmament.
Les paroles ennemies n’étaient pas plus compréhensibles, mais leur teneur,
transportée par les roulements de tambour, était sans équivoque.
De l’endroit où il se trouvait, le jeune archer distinguait
les énormes instruments auxquels la fureur guerrière des batteurs arrachait des
sons secs et rythmés qui se répercutaient à l’envi dans un tonnerre
assourdissant. Devant les tambours, des guerriers barbus, surgis des rangs
arrière à l’appel des percussions, tourbillonnaient dans une danse frénétique.
Ils ne portaient ni mailles ni fer, mais, drapés dans d’épaisses pièces
d’étoffe, ils brandissaient des épées à longue lame au-dessus de leur tête et
portaient de petits écus ronds, en cuir, guère plus grands que des plats, fixés
sur leur avant-bras gauche. Derrière eux, les hommes d’armes cognaient sur
leurs boucliers avec leurs épées, tandis que les piquiers martelaient le sol
avec la poignée de leurs longues armes pour faire bonne mesure.
Tout ce vacarme venait s’ajouter à la musique infernale des
tambours, tant et si bien que les moines du prieur, renonçant à leurs pieuses
incantations, se turent en posant sur l’ennemi des regards pensifs.
Lord Outhwaite était parmi eux, à pied comme ses hommes. Il
dut élever la voix pour expliquer aux religieux :
— Ce qu’ils font, c’est qu’ils essaient de nous
effrayer avec leur tapage avant de nous tuer.
Sa Seigneurie boitait sous les effets de l’âge, à moins que
ce ne fut à cause de quelque ancienne blessure. Visiblement, il ne tenait plus
en place. Et c’était certainement pour échapper à l’attente qu’il avait rejoint
les moines et échangeait quelques mots avec eux.
Il tourna vers Thomas son visage amical.
— Et vous, soyez prudent à l’extrême, car ces
païens-là, dit-il en désignant les hommes des tribus lancés dans leur danse,
ils sont plus dangereux que les bêtes sauvages. On dit qu’ils écorchent leurs
prisonniers tout vifs. (Il se signa.) Ils ne descendent pas souvent dans le
sud.
— Qui sont-ils ?
— Ce sont les hommes des tribus, ils viennent de très
loin dans le nord, répondit un moine.
C’était un homme élancé arborant une frange de cheveux gris,
doté d’une balafre sur la joue, et d’un œil unique.
— Des païens, poursuivit le moine, oui, c’est ça, des
païens ! Ils se prosternent devant des idoles ! Je n’ai jamais voyagé
jusque chez eux, tout là-haut dans le nord, mais on dit que leur pays est
plongé dans un brouillard perpétuel et que si un homme périt frappé dans le
dos, sa femme mange ses propres petits et se jette ensuite du haut des
falaises, si grande est sa honte.
— C’est vrai ? s’étonna Thomas.
— C’est ce qu’on dit, répondit le moine en faisant le
signe de croix.
— Ils se nourrissent de nids d’oiseaux, d’algues et de
poisson cru, compléta lord Outhwaite. Remarquez, certains parmi mes gens, à
Witcar, font la même chose, mais au moins, ils prient Dieu, ajouta-t-il en
souriant. Enfin, je le crois !
— Mais vos gens n’ont pas les pieds fourchus !
répliqua le moine.
— Tandis que les Écossais, oui ? s’alarma un jeune
moine
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