L'archer du Roi
ligne
intacte. Mais le roi d’Écosse paraissait certain que l’assaut viendrait de
l’ennemi, car il ne bougeait pas. Ses hommes avaient beau hurler des insultes
dans l’espoir de le provoquer, cet assaut se faisait attendre.
Les huées des Écossais redoublèrent lorsqu’un homme de haute
taille montant un grand destrier sortit du centre de la ligne anglaise. La
crinière noire de l’étalon était ornée de rubans rouges et sa housse violette,
brodée de clés dorées, était si longue qu’elle balayait le sol derrière les
sabots du cheval. La tête de l’animal était protégée par une têtière de cuir sur
laquelle était adaptée une corne d’argent, courbée comme une corne de licorne.
Le cavalier portait une armure rutilante et les couleurs de
son surcot sans manches, violet et or, étaient celles que portaient ses pages,
son porte-étendard et la douzaine de chevaliers qui le suivaient. Le cavalier
de haute taille ne portait pas d’épée, mais était armé d’une masse d’armes à
tête cloutée semblable à celle que portait Beggar. Les tambours écossais
redoublèrent d’efforts, les soldats firent assaut d’insultes et les Anglais
poussèrent des acclamations, jusqu’à ce que l’homme de haute taille levât une
main gantée de fer pour leur demander le silence.
— Nous allons avoir droit à une homélie de Sa Grâce,
grommela lord Outhwaite. Elle a toujours été sous le charme de sa propre voix,
Sa Grâce.
L’homme de haute taille était l’archevêque d’York. Lorsque
le silence se fut établi dans les rangs anglais, il leva derechef sa main
droite, très loin au-dessus de son heaume emplumé, et, d’un geste d’une ampleur
exagérée, fit le signe de la croix.
— Dominus vobiscum ! s’écria-t-il. Dominus
vobiscum !
Puis il entreprit une chevauchée le long des lignes,
répétant aux soldats que Dieu serait avec eux. Après chaque promesse
d’assistance divine, il prodiguait ses encouragements, en hurlant pour couvrir
le vacarme assourdissant des Écossais :
— Vous ferez périr les ennemis de Dieu ! Dieu est
avec vous, et vous accomplirez Son œuvre en faisant des veuves et des orphelins
à foison ! Vous répandrez le deuil et le chagrin en Écosse en juste
châtiment de leur impiété. Le Seigneur des armées est avec vous ! Votre
mission est d’accomplir la vengeance de Dieu !
Le cheval de l’archevêque, qui avançait en levant très haut
les jambes, paraissait souligner par des mouvements de tête rythmés les exhortations
de son cavalier.
Les dernières traînées de brume avaient disparu depuis
longtemps, et, bien que l’air fût toujours frais, le soleil était assez chaud
et la lumière se reflétait dans des milliers de lames écossaises. Deux chariots
arrivés de la ville avaient fait leur apparition, transportant une douzaine de
femmes qui distribuaient des harengs séchés, du pain et des outres de bière.
L’écuyer de lord Outhwaite apporta une caque de harengs vide
pour permettre à Sa Seigneurie de s’asseoir. À côté de lui, un homme joua du
pipeau et frère Michael chanta une vieille chanson contant les aventures d’un
blaireau et d’un vendeur d’indulgences, ce qui fit rire lord Outhwaite.
Deux cavaliers appartenant chacun à l’armée adverse
sortirent des lignes pour se rencontrer sur le terrain séparant les deux camps.
— Je vois que nous avons l’esprit courtois, commenta Sa
Seigneurie qui observait la scène.
En effet, un héraut anglais en tabard [3] chamarré avait chevauché
vers les Écossais et un prêtre, désigné en hâte comme le héraut des Écossais,
s’était avancé à sa rencontre.
Les deux hommes se saluèrent en s’inclinant, s’entretinrent
quelque temps, puis retournèrent dans leurs rangs respectifs. En rejoignant ses
lignes, l’Anglais écarta les mains dans un geste d’impuissance pour signifier
que les Écossais s’entêtaient.
— Ils viennent de si loin et ils ne veulent pas se
battre ? s’irrita le prieur.
— C’est qu’ils veulent que nous commencions les
premiers, expliqua lord Outhwaite, et nous, c’est ce que nous voulons aussi.
La discussion entre les hérauts avait porté sur la façon de
mener la bataille et chacun avait demandé sans détour que l’assaut fût donné
par le camp adverse, mais ils avaient l’un et l’autre décliné l’invitation.
L’échec de la mission des hérauts déclencha un nouveau
déluge d’insultes et de provocations de la
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