L'archer du Roi
l’archevêque, et cette ligne faisait face à l’assaut des Écossais, qui
avaient le dessus. La nuée d’archers dirigea ses flèches sur la division de
lord Robert Stewart. Ils ne pouvaient pas manquer leur but. Car c’étaient des
archers qui commençaient leur carrière en tirant à cent pas et la finissaient à
plus de deux cents de leur cible. Sur ce champ de bataille, ils tiraient à
vingt pas et les flèches s’envolaient avec une telle puissance que certaines en
arrivaient à transpercer les cottes de mailles de leur cible de part en part.
Des hommes en armure se retrouvaient embrochés. L’aile droite des Écossais
avançait, baignant dans le sang et la douleur, et chaque combattant tombé
exposait une autre victime aux archers qui tiraient de façon ininterrompue. Les
Écossais s’écroulaient comme des mouches. Ils hurlaient et périssaient.
Certains cherchaient instinctivement à charger les archers, mais ils étaient
immédiatement abattus. Il était impossible de résister à pareil déluge d’acier.
Soudain, ils battirent en retraite, marchant sur les morts,
rejoignant en titubant la pâture d’où ils étaient partis, impitoyablement
poursuivis par les flèches qui sifflaient à leurs oreilles. Enfin, une voix
anglaise commanda aux archers de déposer leurs arcs. « Mais restez ici ! »
ordonna le commandant, car il voulait que les archers venus de l’aile gauche ne
quittent pas la droite assaillie.
Thomas se trouvait parmi eux. En faisant le compte de ses
flèches, il n’en trouva plus que sept dans son sac. Il entreprit de parcourir
l’herbe à la recherche de projectiles en bon état, mais quelqu’un l’arrêta en
lui montrant une carriole cahotant à travers le champ, débordante de gerbes de
flèches.
— En France, nous manquions toujours de flèches !
s’étonna Thomas.
— Mais ici, on n’en manque pas, répondit l’homme qui,
affligé d’un bec-de-lièvre, était difficile à comprendre. On les envoie à
Durham, au château. Il y a trois comtés qui les envoient, expliqua-t-il en
prenant deux gerbes de flèches neuves.
Les flèches étaient fabriquées à travers tout le pays, ainsi
qu’au Pays de Galles. Les uns coupaient et taillaient le bois, d’autres
ramassaient les plumes, les femmes tendaient les cordes et d’autres ouvriers
encore faisaient chauffer la colle faite à partir de peaux, de sabots et de
vert-de-gris, tandis que les forgerons forgeaient les pointes. Les différentes
parties étaient transportées dans les villes où les flèches étaient assemblées,
empaquetées et expédiées à Londres, York, Chester ou Durham, et entreposées
pour servir en cas d’urgence.
Thomas prit deux gerbes et introduisit ses nouvelles flèches
dans un sac pris sur un archer tué. Il avait trouvé l’homme gisant derrière les
troupes de l’archevêque et il avait laissé son vieux sac abîmé à côté du
cadavre.
Maintenant, il avait un nouveau sac rempli de flèches
neuves. Il plia les doigts de sa main droite. Ils étaient endoloris, preuve
qu’il n’avait pas assez tiré depuis la bataille de Picardie. Son dos aussi lui
faisait mal, comme à chaque fois qu’il avait tiré plus de vingt fois. Chaque décoche
équivalait à l’effort qu’il lui eût fallu déployer pour soulever un homme d’une
seule main, et, au fur et à mesure, la douleur s’installait en peu plus dans sa
colonne vertébrale. Mais les flèches avaient renvoyé l’aile gauche des Écossais
à l’endroit d’où elle était partie.
De même que leurs ennemis anglais, ces derniers reprenaient
leur souffle. Le terrain qui séparait les deux armées était encombré de
flèches, de cadavres, de blessés dont certains se traînaient pour tenter de
rejoindre leurs camarades. Des chiens qui déambulaient vinrent renifler un
cadavre, mais un moine se chargea de les chasser à coups de pierres.
Thomas détacha la corde de son arc de façon à libérer la
pression sur le bois. Certains archers aimaient à laisser leurs armes perpétuellement
tendues, jusqu’à ce que le bois finisse par conserver l’arrondi d’un arc bandé.
La forme de ces arcs arrondis, dont on disait qu’ils avaient suivi la corde,
était censée montrer que l’arme avait beaucoup servi et que, par conséquent,
son propriétaire était un soldat expérimenté. Mais Thomas, lui, estimait qu’un
arc qui avait suivi la corde était affaibli, et il détendait le sien le plus
souvent possible, économisant la corde
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