L'archer du Roi
du même coup.
Fabriquer une corde exactement de la longueur voulue n’était
pas chose facile. Inévitablement, elle se détendait. Mais une bonne corde de
chanvre imbibée de colle pouvait durer près d’une année si elle était maintenue
au sec et non assujettie à une tension constante. Comme bien des archers,
Thomas aimait à renforcer ses cordes avec des cheveux de femme, car ce procédé
était réputé éviter qu’elles ne cassent pendant la bataille. Cela, plus une
prière à saint Sébastien.
Après avoir détaché la corde, il s’assit dans l’herbe et
sortit les flèches une par une, les passa entre ses doigts afin de détecter
celles qui étaient gauchies.
Un guerrier arborant un croissant d’argent sur son surcot
parcourait la ligne.
— Ces scélérats vont revenir ! cria-t-il, ils en
réclament encore ! Mais vous avez fait de la belle besogne !
Le croissant d’argent était à demi caché par une tache de
sang.
Un archer cracha et un autre saisit instinctivement son arc
détendu. Thomas avait envie de se coucher, certain de s’endormir aussitôt, mais
il était empêché par la crainte ridicule de se retrouver abandonné sur place
par ses compagnons, endormi, livré à la vindicte des Écossais.
Mais les Écossais, comme les Anglais, se reposaient.
Certains se tenaient courbés en avant comme pour reprendre
leur respiration, d’autres étaient assis dans l’herbe et d’autres encore,
agglutinés autour d’un tonneau d’eau ou de bière.
Le calme régnait. Le vacarme des tambours était remplacé par
le frottement des pierres que l’on passait sur l’acier pour aiguiser les lames
émoussées par le combat. On ne criait plus d’insultes ni d’un côté ni de
l’autre, les hommes se contentant de se regarder mutuellement d’un air méfiant.
Les prêtres, à genoux auprès des mourants, priaient pour le repos de leur âme,
tandis que les femmes poussaient des cris d’affliction parce que leur mari, amant
ou fils était mort.
L’aile droite anglaise, affaiblie par la férocité de
l’assaut écossais, était retournée à son point de départ. Derrière elle
gisaient des masses de cadavres et d’agonisants. Les victimes écossaises,
laissées sur place dans la précipitation de la retraite, étaient devenues la
proie de la soldatesque anglaise avide de butin. Une bagarre éclata entre deux
guerriers qui avaient jeté tous deux leur dévolu sur une poignée de pièces
noircies.
Des moines portaient de l’eau aux blessés. Un petit enfant
jouait avec des anneaux de cotte de mailles tandis que sa mère s’acharnait sur
une visière brisée et embrochée sur une pique, qui avait tout pour faire une
bonne hache. Un Écossais que l’on pensait mort poussa un grognement soudain et
se retourna. Un homme d’armes s’approcha alors et, posant un pied sur lui,
l’acheva à coups d’épée. Le mourant se raidit, puis se détendit et ne bougea
plus.
— On n’est pas encore au jour de la résurrection,
coquin ! Maudit fils de pute… grommela-t-il en essuyant son épée sur le
surcot déchiré de sa victime, se réveiller comme ça ! Il y a de quoi vous
faire tourner les sangs !
Puis il s’accroupit à côté du cadavre et entreprit de
fouiller ses vêtements.
Une foule de spectateurs avait envahi les clochers de la
cathédrale et les murs du château. Un héron volait sous les remparts, suivant
la rivière sinueuse qui scintillait joliment au soleil d’automne. On entendait
les rois des cailles pousser leur cri sur la pente. Des papillons, à coup sûr
les derniers de l’année, voletaient au-dessus de l’herbe trempée de sang.
Puis Thomas vit que les Écossais s’étaient levés, s’étirant,
passant leurs heaumes, introduisant leurs bras dans les poignées de leurs écus
et soupesant leurs épées, piques et lances aiguisées de frais. Certains avaient
la tête tournée vers la ville. Sans doute imaginaient-ils les trésors conservés
dans la crypte de la cathédrale et dans les celliers du château, rêvant de
poitrines rutilantes d’or, de coffres débordant de pièces de monnaie, de
chambres tapissées d’argent, de tavernes où la bière coulait à flots et de rues
remplies de femmes.
— Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit !
cria un prêtre. Saint André est avec vous. Vous vous battez pour votre
roi ! L’ennemi n’est qu’un ramassis d’impies, de suppôts de Satan !
Dieu est avec nous !
— Debout, les gars, debout ! cria
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