L'archer du Roi
s’interrogea Robbie, ébaubi.
Et regarde par là !
Un ours dansait en soufflant dans une flûte, juste sous le
gibet où étaient pendus deux cadavres. C’était l’endroit où l’on amenait les
criminels de Londres afin de les expédier en enfer sans cérémonie. Les deux
corps étaient entortillés dans des chaînes qui maintenaient les chairs
pourrissantes autour des os. La puanteur des cadavres en décomposition se
mélangeait avec l’odeur de la fumée et les effluves nauséabonds émis par le
bétail effrayé que l’on négociait.
Le marché s’étendait des murs de la ville au prieuré de
saint Barthélémy, où Thomas paya un prêtre afin qu’il dise des messes pour les
âmes d’Eléonore et du père Hobbe.
Thomas se conduisait comme s’il avait ses habitudes dans la
ville, alors qu’il n’en était rien. Il avait choisi la taverne de Smithfield
pour la simple raison que son enseigne représentait deux flèches entrecroisées.
N’en étant qu’à son deuxième séjour à Londres, il n’était pas moins
impressionné, perdu, ébloui et surpris que Robbie.
Ils parcoururent les rues en s’arrêtant, ébahis, devant les
églises et les maisons des nobles, et Thomas utilisa la bourse de lord
Outhwaite pour faire l’acquisition de bottes, de chausses en peau de veau,
d’une veste en cuir de bœuf et d’une cape en laine de belle qualité. Il fut
tenté d’acheter un beau rasoir français présenté dans une boîte d’ivoire, mais,
ne connaissant pas la valeur de l’objet, il craignit d’être trompé. Il se
consola en se promettant d’en voler un sur le cadavre d’un Français lorsqu’il
serait à Calais.
Il paya donc un barbier qui le rasa de près et, vêtu de
neuf, dépensa le prix du rasoir avec l’une des femmes de la taverne. Mais il se
retrouva ensuite gisant sur son lit, les yeux mouillés de larmes à la pensée
d’Eléonore.
— Y a-t-il une raison pour que nous soyons à
Londres ? lui demanda Robbie le soir même.
Thomas finit sa bière et fit signe à la servante d’en
apporter une autre cruche.
— C’est sur la route du Dorset.
— C’est une raison qui en vaut une autre.
Londres ne se trouvait pas vraiment sur la route de Durham à
Dorchester, mais les routes qui allaient vers la capitale étaient bien
meilleures que celles qui traversaient le pays, et il était plus rapide de
passer par la grand-ville.
Au bout de trois jours, ils se remirent en selle et se
dirigèrent vers l’ouest. Ils contournèrent Westminster et Thomas, l’espace d’un
instant, songea à aller visiter John Pryke, le chapelain royal qui avait été
désigné pour l’accompagner et était tombé malade et qui soit vivait, soit était
mort, à l’hôpital de l’abbaye. Mais, n’ayant pas le cœur de parler du Graal, il
y renonça.
L’atmosphère devint plus claire à mesure qu’ils
s’enfonçaient dans la campagne. Les routes n’étaient pas très sûres, mais la
figure de Thomas était si sombre que les autres voyageurs voyaient en lui un
péril plutôt qu’une proie. Il était vêtu de noir comme à l’accoutumée, ses
joues n’étaient pas rasées et la détresse qui l’habitait avait creusé de
profondes rides sur son fin visage. Avec la masse de cheveux ébouriffés de
Robbie, ils ressemblaient tous deux aux vagabonds qui hantaient ces routes,
n’eût été leur armement propre à décourager les détrousseurs les plus hardis.
Thomas portait son épée, son arc et son sac de flèches, tandis que Robbie
arborait l’épée de son oncle à la poignée sanctifiée par la mèche de cheveux de
saint André. Sir William, réfléchissant au fait que cette épée ne lui serait
que de peu d’utilité durant les prochaines années, laps de temps nécessaire à
sa famille pour réunir son énorme rançon, l’avait prêtée à son neveu en
l’encourageant à s’en servir à bon escient.
— Tu crois que Taillebourg sera dans le Dorset ?
demanda le jeune Écossais tandis qu’ils chevauchaient sous une pluie cinglante.
— J’en doute.
— Alors pourquoi y allons-nous ?
— Parce qu’il y viendra peut-être plus tard, répondit
Thomas, avec son maudit valet.
Il ne savait rien du valet, en dehors de ce que lui avait
dit Robbie, c’est-à-dire que c’était un homme dur, élégant, un ténébreux à
l’aspect mystérieux, mais Robbie n’avait jamais entendu son nom. Thomas, qui se
refusait à croire qu’un prêtre avait pu tuer Eléonore, s’était
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