L'archer du Roi
Robbie,
alors les Français voudront en avoir un aussi. Et sans doute les Portugais
aussi.
Avec un haussement d’épaules, il revint à Thomas :
— Donc, ton père en avait un autre ?
Le jeune archer ne sut que répondre. Son père était
imprévisible, fou, brillant, difficile et tourmenté. C’était un grand pécheur
et un grand saint tout ensemble. Le père Ralph se gaussait de la superstition
ambiante, il raillait les os de porc vendus par les marchands d’indulgences qui
les faisaient passer pour des reliques de saints, mais il avait suspendu une vieille
lance noircie et tordue aux poutres de son église en prétendant que c’était la
lance de saint Georges. Jamais il n’avait fait allusion au Graal devant son
fils, mais depuis sa mort, Thomas avait appris que l’histoire de sa famille
était mêlée à celle du Graal.
Finalement il choisit de dire la vérité à son
compagnon :
— Je ne sais pas, je ne sais vraiment pas.
Robbie se pencha pour éviter une branche qui poussait en
travers de la route.
— Tu veux dire que c’est le véritable Graal ?
— S’il existe, répondit Thomas, se demandant une fois
de plus si c’était possible.
Il le supposait, tout en espérant le contraire. Mais il
avait été investi de la mission de le trouver. Il rechercherait donc l’ami de son
père et lui poserait des questions, et lorsqu’il aurait reçu la réponse qu’il
attendait, il retournerait en France pour rejoindre les archers de Skeat. Will
Skeat lui-même, son ancien commandant et ami, était retenu à Caen depuis sa
blessure, et Thomas ne savait s’il était toujours vivant ou non, et, si oui,
s’il était capable de parler ou de comprendre, ou même de marcher. Il pourrait
l’apprendre en envoyant une missive à sir Guillaume d’Evecque, le père
d’Eléonore. Peut-être Will obtiendrait-il un sauf-conduit en échange de la
libération de quelque noble français de peu d’importance.
Thomas se promettait de rembourser lord Outhwaite avec le
produit du butin qu’il prendrait à l’ennemi. Ensuite, il pourrait trouver une
consolation dans son métier d’archer, en tuant les ennemis du roi… Peut-être
Taillebourg parviendrait-il à le retrouver, mais ce serait pour que lui,
Thomas, l’écrase comme on écrase un rat. Quant à Robbie… Thomas avait décidé
que cet Écossais lui plaisait, mais peu lui importait qu’il restât ou s’en
allât.
La seule chose qu’avait comprise Robbie, c’était que
Taillebourg était à la recherche de Thomas. Donc, il resterait à ses côtés tant
qu’il n’aurait pas fait passer ce dominicain de vie à trépas. Il n’avait
d’autre ambition que celle de venger son frère : c’était un devoir de
famille.
— Tu touches à un Douglas, expliqua-t-il à Thomas, et
tu te fais étriper. Tu te fais écorcher vif. C’est la vengeance du sang, tu
comprends ?
— Même si le meurtrier est un prêtre ?
— C’est soit lui, soit son valet, répliqua Robbie, et
le valet obéit au maître. D’une façon ou d’une autre, le prêtre est
responsable, donc il meurt. Je vais lui trancher la gorge, à ce scélérat.
Il chevaucha quelques instants en silence, puis il sourit.
— Et après, j’irai en enfer, mais au moins, là-bas, je
retrouverai tous les Douglas qui tiennent compagnie au diable, et il ne doit
pas en manquer !
Il s’esclaffa.
Ils mirent dix jours pour atteindre Londres. En découvrant
la ville, Robbie simula l’indifférence, comme si l’Écosse regorgeait de cités
semblables au creux de la moindre de ses vallées, mais, au bout d’un moment, il
renonça à cacher ses sentiments et contempla, bouche bée, les grands édifices,
les rues encombrées et les étals de marchands serrés les uns contre les autres.
Thomas puisa dans la bourse de lord Outhwaite pour trouver
un toit dans une taverne située non loin des murs de la ville, à côté de
l’étang de Smithfield et près d’une étendue d’herbe où plus de trois cents
vendeurs exposaient leurs marchandises.
— Et ce n’est même pas jour de marché ? s’étonna
Robbie, avant de le tirer par la manche. Regarde !
Un jongleur était en train de lancer en l’air une
demi-douzaine de balles. Il n’y avait là rien d’inhabituel, car cela se
rencontrait dans toutes les foires, mais cet homme se tenait sur deux épées
qu’il utilisait comme des échasses, en posant ses pieds nus sur les pointes des
épées.
— Comment fait-il ?
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