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L'archipel des hérétiques

L'archipel des hérétiques

Titel: L'archipel des hérétiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mike Dash
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normales,
il aurait pu se conserver indéfiniment, bien qu'il fut si dur qu'on s'y cassait
les dents. Il fallait le tremper dans la sauce du ragoût pour qu'il devînt
comestible. L'humidité le rendait plus facile à mâcher, mais en faisait du même
coup le garde-manger idéal pour les charançons qui y pondaient leurs œufs.
Chaque morceau se métamorphosait en un labyrinthe de galeries et d'alvéoles
pleines de larves. Sur la route des Indes, un marin apprenait à ne jamais
mordre dans sa portion de pain sans l'avoir préalablement cognée contre la
coque pour en déloger les occupants. Il en restait cependant toujours
quelques-uns, qui étaient mâchés et digérés avec le pain. Les marins novices
apprenaient ainsi à distinguer la saveur amère des charançons, celle du cafard,
qui rappelait paraît-il la saucisse, et la fraîcheur désagréablement spongieuse
d'un asticot craquant sous la dent.
    A bord comme à terre, l'ordinaire des officiers différait
de celui de leurs hommes, non seulement pour ce qui était de la nourriture
solide, mais aussi de la boisson 39 . Pelsaert, Cornelisz et les
autres officiers supérieurs pouvaient apporter à bord leurs propres réserves de
vins fins et de spiritueux, en quantités proportionnelles à leur rang. A partir
du grade de premier maître, on avait le droit à une double ration d'eau et de
petite bière de la réserve commune. Les hommes d'équipage ne pouvaient boire
d'alcool qu'à titre de remède, en prévention des maladies et, sous les
tropiques, leur eau comme leur bière offraient un terrain propice à la
prolifération des algues vertes. L'eau provenant de l'île de Texel avait la
préférence de la VOC, à cause de sa composition minérale qui retardait le
développement des algues, mais lorsque le Batavia atteignit l'Afrique,
ses réserves d'eau potable s'étaient gâtées. L'eau s'était transformée en un
infâme bouillon, saumâtre et malodorant, infesté de petites larves qu'il
fallait filtrer entre les dents. Les rations journalières d'un litre et demi
arrivaient de la cale « presque aussi chaudes que si on les avait fait bouillir 40 ».
    Malheureusement pour ses passagers, la détérioration des
réserves d'eau et de bière du Batavia coïncida avec des températures
torrides, qui les firent abondamment transpirer, exacerbant la soif provoquée
par leur alimentation saturée de sel. Il fallut imposer un système de
rationnement pour épargner les précieuses réserves de bière et d'eau croupie.
Tous les marins, jusqu'au plus misérable, avaient un gobelet pour recevoir leur
ration. Lorsqu'on servait les hommes d'équipage dans une cruche commune, on
déclenchait invariablement des querelles pour savoir qui avait reçu plus que sa
part du précieux liquide.
    À en juger par les critères de l'époque, les hommes du Batavia n'étaient pourtant pas si mal lotis. Leur alimentation leur
garantissait un apport de calories suffisant pour leur permettre d'assurer leur
travail et, à une époque où les artisans et les paysans ne mangeaient de viande
que deux ou trois fois dans le mois, l'équipage d'un retourschip en
consommait trois ou quatre fois par semaine. Nicho-las de Graaf, un chirurgien
qui fit cinq voyages aux Indes entre 1639 et 1687, rapporte que l'on servait
chaque matin à chaque groupe de l'équipage « un grand plat de gruau bouillant,
garni de pruneaux et nappé de beurre ou d'un autre corps gras. A midi, ils ont
un plat de haricots blancs et un plat de poisson séché, avec du beurre et de la
moutarde, sauf le dimanche et le jeudi, où ils ont des pois cassés et un plat
de viande ou de bacon. Chaque homme reçoit une ration hebdomadaire de quatre
livres de pain (ou plus généralement de biscuit) et chaque jour, un grand verre
de bière, dans la mesure du stock disponible. On leur fournit aussi des rations
suffisantes d'huile d'olive, de beurre, de vinaigre, et de brandy français ou
espagnol, pour les maintenir alertes et en bonne santé ».
    À la table du capitaine, il n'y avait pas de rationnement.
Pelsaert, Jacobsz, Cornelisz, et Lucretia mangeaient de la viande ou du poisson
trois fois par jour et, dans les grandes occasions, on servait dans la Grande
Cabine des festins comportant non moins de onze ou douze plats. Un passe-temps
comme un autre...
    L'ennui mettait à rude épreuve les nerfs de tous les
passagers, au cours de cette longue traversée en direction du Cap. Entre les
repas, l'équipage et les passagers bavardaient ou

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