L'archipel des hérétiques
températures aussi
accablantes, notaient que le soleil aurait été assez brûlant pour « dessécher
les matières fécales à l'intérieur du corps ». Et en ces temps où la crème
solaire restait à inventer, tous les occupants du Batavia souffraient de
cuisants coups de soleil. L'eau de mer, qu'on appliquait sur ces brûlures,
n'apportait qu'un soulagement temporaire, car le sel provoquait de terribles
irritations, accompagnées de démangeaisons. Et le fait qu'en l'absence d'eau
douce les marins se servaient de leur urine pour laver leurs vêtements ne
devait pas contribuer à améliorer les choses...
En bas, dans la cale désertée, les rats avaient étendu
leur empire. Des bataillons de rongeurs gros et gras grouillaient dans les
réserves. Ils se frayaient un chemin à coups de dents dans les parois des
tonneaux et nichaient dans les ballots de tissu embarqués comme denrées
d'échange. Ayant remarqué que les lattes des barils recelaient d'alléchantes
réserves de nourriture, ils se méprenaient parfois et attaquaient la coque. Au
bout d'un certain temps, ils pouvaient même ouvrir dans les deux strates de
chêne des trous qui se transformaient en voies d'eau et donnaient de l'ouvrage
aux pompes du bord et aux calfateurs qui devaient ensuite venir colmater ces
brèches, ruisselants de sueur.
Mais tout cela n'était rien, comparé aux nuées d'insectes
qui pullulaient et s'infiltraient dans la moindre crevasse de la coque. Les
poux étaient un véritable fléau et personne - pas même les plus raffinés des
hôtes de Pelsaert - ne leur échappait. Ils croissaient et multipliaient dans
les vêtements et pouvaient provoquer de redoutables épidémies de typhus, qui
valurent à plus d'un indiaman de perdre le quart, voire le tiers de son
équipage. Il semble que le Batavia soit passé outre ce danger, mais on
peut supposer que les poux avaient colonisé le moindre morceau de tissu, à
bord. Creesje et Cornelisz eux-mêmes étaient tenus de se joindre aux autres
passagers et à l'équipage pour la séance d'épouillage heb-domadaire, à la
proue, sur une partie du pont réservée à cet usage, près des latrines. Ces
séances de chasse aux poux devaient leur apporter quelque soulagement mais,
comme l'attestent d'innombrables lettres et mémoires de l'époque, leurs effets
n'étaient que temporaires.
Les poux étaient loin d'être les seuls hôtes indésirables
à bord. Les punaises infestaient les couchettes et les paillasses et même un
navire flambant neuf, tel que le Batavia, avait tôt fait de devenir un
nid de cafards. Les quelques jours où la flotte de Pelsaert avait mouillé en
Sierra Leone avaient amplement suffi à quelques beaux spécimens d'insectes
africains pour se faufiler dans les cales, où ils s'étaient multipliés à une
vitesse surprenante. Excédé par la prolifération de la vermine à son bord, le
capitaine d'un indiaman suédois offrit à ses hommes un verre de brandy
pour chaque millier de cafards tués et, en quelques jours, il se vit présenter
les cadavres de quelque trente-huit mille deux cent cinquante insectes.
Harcelés à la fois par la chaleur et la vermine, certains
voyageurs hollandais basculaient dans la folie. À la fin des années 1620, la
VOC avait déjà relevé plusieurs formes de maladies mentales, provoquées par le
long confinement du voyage vers les Indes orientales. Les cas de dépression
n'étaient pas rares, durant les premières semaines de tout voyage, quel qu'il
fut - au moment où les passagers du navire commençaient à prendre la mesure des
épreuves qui les attendaient encore. Les victimes de ce mal étaient parfois si
gravement atteintes qu'elles s'enfermaient dans le mutisme ou refusaient de
s'ali-menter. D'autres perdaient la tête durant ces interminables semaines où
le navire, encalminé dans les climats suffocants de l'équateur, attendait des
vents qui refusaient de souffler. On trouve dans les archives de la Compagnie
des Indes orientales de nombreux cas de malades qui ont préféré sauter
pardessus bord pour mettre fin à leur calvaire.
Mais la plupart des voyageurs gardaient aussi certains
bons souvenirs du voyage. Nous avons conservé des récits décrivant des
baignades dans les eaux calmes, des parties de saut à la corde et des veillées
agrémentées de contes, dans l'air tiède du soir. Tout ce qui pouvait se
célébrer, tel que l'anniversaire du capitaine, était prétexte à festivités.
Les prédicateurs de l'Église
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