L'archipel des hérétiques
et qu'ils auraient les agents de la
Jan Compagnie aux trousses pendant le reste de leur vie.
Tout cela, Jacobsz et Cornelisz ne pouvaient l'ignorer,
mais ils savaient aussi que les mutineries existaient et qu'il s'en était déjà
produit une demi-douzaine, dans les flottes de la VOC, depuis 1602. La dernière
en date remontait à 1621 - elle avait éclaté sur un bateau baptisé le Witte
Beer (l'Ours Blanc) - et la plus grave datait de 1615. La Meeuwtje et la Grote Maen (la Petite Mouette et la Grande Lune) faisaient partie
d'une flotte qui avait pour mission d'explorer un itinéraire occidental vers
les Indes, via le cap Hom. Ils étaient encore dans l'Atlantique, lorsque
quatorze hommes de la Meeuwtje , ayant à leur tête un matelot et un
charpentier, avaient conspiré pour s'emparer du navire 7 . Mais les
officiers eurent vent du complot et firent pendre les deux meneurs. Les autres
mutins eurent la vie sauve parce qu'ils avaient fait acte de contrition et,
plutôt que de les châtier, l'état-major se contenta de les disperser à bord des
autres bâtiments de la flotte. Trois mois plus tard, une nouvelle révolte
éclata à bord de la Meeuwtje. Cette fois, les meneurs furent jetés à la
mer et, là encore, la plupart des mutins furent épargnés. Mais le subrécargue
du navire dut amèrement regretter sa clémence... Une tempête se leva et la Meeuwtje fut portée disparue. Des mois plus tard, la VOC découvrit qu'une
troisième mutinerie avait éclaté, cette fois avec succès. La Meeuwtje avait mis le cap sur La Rochelle et les rebelles l'avaient livrée aux Français.
De tous les conjurés, un seul commit l'erreur de revenir aux Pays-Bas. Il fut
pris et châtié.
Peut-être était-ce l'exemple de la Meeuwtje qui
avait convaincu Jacobsz et Cornelisz que l'on pouvait s'emparer d'un indiaman en toute impunité. Mais le capitaine comme l'intendant adjoint
devaient bien soupçonner que les maîtres de la VOC, aux Pays-Bas, avaient eu
tout le temps de tirer les leçons de la mésaventure. Désormais, la clémence
n'était plus de mise, et tout mutin capturé était mis à mort sur-le-champ, ou
torturé avec des raffinements de cruauté qui lui faisaient regretter une
exécution rapide.
Les mesures disciplinaires à bord d'un retourschip étaient,
au bas mot, brutales 8 . Toujours âpres au gain, les Hollandais
appliquaient un système d'amendes draconien, même en cas de fautes vénielles
telles que l'ivresse ou le blasphème. Mais toute violence physique ou toute
menace entraînait un châtiment violent. Le moindre signe d'insolence envers un
supérieur valait au contrevenant d'aller moisir, pieds et poings liés, dans l'«
enfer » - une cellule minuscule située à l'avant de l'entrepont à canons, où le
vent sifflait furieusement entre les planches de la coque. Les hommes pouvaient
rester des semaines dans cet infôme cagibi où l'on ne pouvait ni s'allonger, ni
se tenir debout. Les combats au couteau, un sport répandu, que les Hollandais
appelaient le snicker-snee, étaient réprimés avec la plus extrême
sévérité, et l'article XCI du règlement de la VOC ne laisse planer aucune
ambiguïté sur ce point : « Quiconque sortira un couteau sous le coup de la
colère, prescrit-il, sera cloué au mât avec un couteau planté dans la main, et
devra rester debout jusqu'à ce qu'il parvienne à retirer sa main. » Ce qui
signifiait, en pratique, que le condamné était amené au mât, la main gauche
liée derrière le dos et qu'après exécution de la sentence il devait choisir
entre déchirer sa paume droite en tirant brusquement vers le bas, ou la dégager
lentement, au prix de terribles souffrances, en agrandissant la blessure
jusqu'à ce que le manche du couteau puisse y passer. Quelle que soit la solution
choisie, le blessé ne pourrait plus jamais travailler sur un navire.
Dans ces conditions, il n'est guère surprenant qu'après
1615 la sentence la plus commune pour le tout-venant des mutins ait été deux
cents coups de fouet - ce qui suffisait à mettre à vif le dos d'un homme, à
tuer une bonne partie des condamnés et à marquer les autres pour la vie. Sur
les navires hollandais, les mutins étaient arrosés d'eau de mer avant le
supplice, pour que le sel, en pénétrant dans les plaies, les rendît plus cuisantes.
Dans les cas les plus graves, les rebelles étaient jetés
de la grand-vergue, ou traînés sous la quille 9 . Dans le premier cas,
le prisonnier avait les mains liées dans le dos,
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