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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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plus le temps d’écrire, mais j’étais certaine que rien n’échapperait à sa mémoire, pas plus qu’à la mienne.
    J’ignorais où était Mélissa, où était Lystra dont la grossesse touchait à son terme.
    Cette nuit-là, nous dûmes rejoindre Sophos, parti en reconnaissance avec un groupe de fantassins légers et de Thraces, les plus résistants car le froid tenaillait leurs terres l’hiver. À la tombée de la nuit, ils s’étaient installés dans des villages, où quatre bataillons étaient entrés. Certains avaient trouvé un logement, d’autres étaient restés dehors autour de grands feux. Les derniers, dont Xéno, ses hommes et moi-même, furent surpris par l’obscurité au milieu du haut plateau.
    C’était une nuit venteuse et glaciale. Des millions d’étoiles, elles aussi de glace, brillaient dans le ciel noir, et la voie blanche qui le traversait évoquait une traînée de neige soulevée par le vent.
    Le haut plateau était désert et nu, privé d’arbres et d’abris. Xéno rassembla les hommes et les animaux, ordonna qu’on se munît de pelles et qu’on libérât un périmètre suffisant en créant un mur contre lequel se briserait le vent cinglant. Il alluma des lampes, distribua le peu de nourriture qu’on avait et quelques gorgées de vin. Il fit placer les bêtes au centre et les hommes autour en les entassant les uns contre les autres de façon que leur chaleur ne se dispersât pas. Les derniers furent protégés par des capes.
    Nous passâmes la nuit ainsi. Au matin, nous trouvâmes une douzaine de soldats morts, raides, les yeux pareils à des perles de glace.
    Nous reprîmes notre route. Soudain, les hommes qui cheminaient sur la crête de la colline aperçurent une tache sombre au milieu du blanc. Ils s’écrièrent : « Venez ! Venez par-là ! » Le reste de l’armée les rejoignit. De cet observatoire, nous découvrîmes un endroit où la neige manquait et d’où s’élevait une colonne de vapeur, mais aussi, derrière nous, des bandes armées d’indigènes bien décidés à tuer et dépouiller les retardataires. C’étaient des groupes d’une cinquantaine d’hommes, couverts de peau, armés de piques et de couteaux. Nous gagnâmes la grande tache sombre : une source d’eau chaude jaillissait au milieu d’une lande couverte de glace, qui remplissait un bassin naturel d’une profondeur de deux coudées. Le terrain environnant était chaud, et les hommes se roulèrent dessus.
    Ils refusèrent d’aller plus loin quand Xéno les en pria. « Vous vous reposerez un moment, puis nous repartirons.
    — Nous ne bougerons pas, déclara l’un d’eux.
    — Oui, tu peux nous tuer si tu le veux, mais nous ne quitterons pas ces lieux, renchérit un autre.
    — Vous êtes fous. Que croyez-vous faire ici ? Il n’y a rien. Juste un peu de chaleur. Si vous ne mourez pas de froid, vous mourrez de faim ou serez massacrés par les Barbares qui nous suivent. Quelle différence cela fait-il ? »
    Il les autorisa à se reposer un peu, certains que, une fois revigorés, ils reprendraient la route. Il se trompait. Nombre d’entre eux avaient accompli un effort extrême pour atteindre la source chaude, ils s’étaient déshabillés et ils plongeaient dans l’eau, dans un bain merveilleux qui consolait des souffrances endurées, de l’inconfort, du froid. Xéno savait ce qu’ils pensaient, et moi aussi : mieux vaut mourir d’inanition dans le creux de cette source miraculeuse, comme dans un utérus chaud, que d’affronter d’autres souffrances, le froid, une épreuve sans fin.
    Xéno parvint à les remettre debout plus ou moins brutalement, à l’exception d’une trentaine d’hommes qui n’avaient plus la force de marcher et encore moins de supporter le poids de leur armure.
    Il se résigna donc. « Fort bien dit-il, mais on vous a promis que personne ne resterait en arrière et je compte tenir cette promesse. Nous poursuivrons notre marche et quand nous aurons trouvé un refuge je vous enverrai des camarades qui vous ramèneront. »
    Jamais je n’oublierai ces jeunes gens nus comme des enfants, se baignant dans l’eau transparente, nous regardant partir, les yeux emplis d’une mélancolie infinie. Xéno me dit tout bas qu’ils ressemblaient aux compagnons d’Ulysse parmi les mangeurs de lotus, mais j’ignore ce que cela signifiait.
    Notre fatigue était également due à l’altitude : nous ne cessions de haleter et chaque mouvement était plus

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