L'armée perdue
pénible que de coutume.
Nous rejoignîmes enfin l’avant-garde de l’armée. Sophos vint à notre rencontre. « Entrez. Il y a de quoi boire et manger, de la place dans les maisons, pour dormir au chaud. Les habitants ne sont pas hostiles.
— Enfin une bonne nouvelle ! s’exclama Xéno. Donne-moi des chevaux ou des mulets, de la nourriture, des vêtements secs et un détachement frais. J’en ai besoin immédiatement. »
Je continuais de penser aux soldats dans leur bain fumant. Le soleil se couchait. Du nord, la nuit étendait un voile sombre qui recouvrait une partie du ciel. Ils n’avaient plus qu’une heure à vivre, peut-être deux. Pas plus.
Xéno obtint mulets et chevaux. Il passa les consignes à Euryloque de Lousi et à Lykios, puis rebroussa chemin à la tête d’un groupe de fantassins légers et d’attaquants thraces.
Plongés dans leur bain, les soldats jouaient et s’éclaboussaient. Mais à l’extérieur, il faisait de plus en plus froid, la lumière faiblissait, la vapeur se condensait, elle gelait autour de quelques arbustes et de deux arbres secs qui se dressaient, telles des images désespérées, créant des formes surprenantes que les rayons du soleil parsemaient d’infinies nuances de couleurs. Jaillissant des cimes montagneuses, la lune, encore pâle, observait cette scène. Les voix transperçaient la vapeur, les images se confondaient, l’écho renvoyait des sons distincts.
La nuit allait tomber.
La mort allait venir.
La noire divinité descendait des pics glacés sans laisser de traces sur la neige immaculée, fendant le vent de son crâne pointu. Elle guidait, invisible, des essaims de pillards qui dévalaient les pentes, armés pour tuer.
Les soldats ne réagissaient pas à leur approche : à quoi bon ? La mort serait rapide et tiède, la tiédeur du sang se mêlerait à la tiédeur de l’eau, puis à l’obscurité et au silence.
Xéno apparut au sommet de la colline et, tandis que son cheval se cabrait et hennissait, soufflant de la vapeur tel un dragon, il dégaina son épée et s’écria :
« Alalalaï ! »
Aussitôt, cinq cents guerriers nourris et bien équipés surgirent derrière lui. Ils se disposèrent en éventail sur la pente pour ôter toute issue aux pillards. Produisant un nuage de poussière blanche, ils se lancèrent contre les ennemis, contre ces Barbares qui attaquaient l’arrière-garde, qui assaillaient les égarés et les retardataires, contre ces hommes qui se disputaient, la nuit, le butin et les bêtes de somme empêtrées dans la neige.
Les Thraces et les attaquants s’abattirent sur eux et les fauchèrent irrémédiablement, ils les empalèrent sur leurs javelots, les transpercèrent de leurs poignards, les mirent en pièces à l’aide de leurs longues épées.
La blanche étendue se tacha de noir et de rouge, puis plongea dans le silence.
Xéno ne participa pas à l’affrontement : ce n’était pas nécessaire. Il y assista de loin, immobile, et quand ce fut terminé il poussa Halys vers le centre de la vallée où la neige manquait. Il sauta à terre et s’approcha de la source chaude d’où ne s’élevait aucun bruit. Il traversa le nuage de vapeur et se dressa devant ses compagnons stupéfaits.
Il les compta. Ils étaient tous là.
« Sortez de là, habillez-vous et armez-vous. Il y a à quatre stades d’ici des logements, de la nourriture, des boissons et du feu. Vous êtes sauvés, soldats ! »
Les jeunes gens le dévisageaient comme une apparition miraculeuse. Sans mot dire, ils quittèrent le bassin, endossèrent les habits secs, empoignèrent leurs armes et montèrent sur les bêtes de somme que Xéno avait emmenées.
La mort attendrait.
Avant que la nuit tombe, ils franchirent les limites du village.
Jamais on n’avait vu pareil endroit. Il y avait là une dizaine de grands villages dont les maisons possédaient des murs de pierre et un toit en paille. Et au-dessous de chaque maison, une habitation creusée dans la terre. On y trouvait une abondance de vivres et de grandes jarres d’une bière légère et mousseuse, fort agréable, des poules et des oies, des ânes et des mulets, des greniers remplis de foin.
Il faisait bien chaud dans ces souterrains. Après tant de souffrances, les hommes purent se nourrir et dormir tranquillement, sans être dérangés par les cris sauvages des pillards. Xéno se remit à écrire, il consigna soigneusement sur son rouleau les événements des derniers
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