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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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portées.
    Le moment était arrivé de le récompenser de l’aide qu’il nous avait apportée. On lui offrit sur la masse commune un cheval, une magnifique robe perse, et dix dariques en or, soit une somme considérable, en signe de notre gratitude. Mais il aimait surtout les bagues, qu’il montrait aux doigts des soldats. Beaucoup les ôtèrent et les déposèrent dans sa main. Je vis que Mélissa les imitait. Enfin, le guide glissa ces bijoux dans sa besace puis, sans piper, saisit les rênes de son cheval et disparut parmi les ombres du soir.
    Alors le calme et le silence s’abattirent sur l’armée, accompagnés d’une grande mélancolie. Après l’euphorie, l’enthousiasme irrépressible, presque fou, les cris, la fureur du salut, l’épilogue d’une entreprise qui avait coûté aux hommes des sacrifices et des efforts surhumains, une bataille faite de mille combats, une guerre contre tout et contre tous, venait le temps de la réflexion et de la mémoire. Voilà que défilaient devant les yeux de ces guerriers des scènes qui les avaient à jamais marqués, les images de camarades tombés au champ de bataille, morts dans d’atroces souffrances, mutilés, blessés, de jeunes gens dont les âmes erreraient pour toujours dans un monde aveugle et sombre.
    C’était à eux, à leur héroïsme, à leur valeur, à leur courage qu’étaient dédiés ces monticules, un monument unique au monde, qui n’avait rien à voir avec ces œuvres regorgeant d’or, de bronze et de marbres précieux que les riches commandent à de grands artistes. Chaque soldat l’avait construit, chacun avait apporté une, deux, cent pierres, chacun l’avait élevé sans suivre le moindre croquis d’architecte, sans autre inspiration que l’élan de son cœur.
    Au couchant, je vis plus d’un guerrier pleurer à l’écart, tandis que d’autres, près du tumulus le plus grand, entonnaient un chant triste et majestueux qui montait vers le ciel où brillait déjà la première étoile.
    Le lendemain, nous reprîmes notre marche le long de la pente. Les Dix Mille quittaient le monde des hauteurs qu’ils avaient parcouru d’une extrémité à l’autre, un monde ponctué de cimes solitaires, délimité par d’immenses chaînes de montagnes, sillonné de fleuves tourbillonnants, grondant en cascades et en rapides, pour descendre vers la mer d’où ils étaient venus.
    Nous traversâmes un bois d’arbustes de la taille d’un homme, chargés de fleurs pourpres, et des prés où poussaient d’autres fleurs inconnues.
    L’eau des glaciers et des neiges, qui fondaient à la chaleur du printemps, constituait des dizaines de torrents surgissant çà et là. Ils sautaient de rocher en rocher en produisant une brume que les rayons du soleil parsemaient de reflets irisés. Leur gargouillement aux sonorités changeantes se transformait en voix unique, indéfinissable, magique, à laquelle se mêlaient le chant des oiseaux et le bruissement des feuilles dans le vent.
    C’était ainsi que je m’étais représenté le paradis terrestre à l’âge d’or : les reflets dorés du soleil s’insinuant entre les branches, le scintillement de la rosée, les parfums apportés par le vent marin lui-même, imprégné d’autres senteurs…
    Nous pensions que nos souffrances n’étaient plus qu’un souvenir, mais nous dûmes bientôt déchanter. Une tribu nous barra le passage d’un fleuve et ne consentit à se retirer qu’après avoir parlementé avec l’un des nôtres. Quand Xéno demanda à ce dernier par quel mystère il parlait la langue d’un peuple aussi lointain, le jeune attaquant répondit : « Je l’ignore… Je me suis soudain rendu compte que je les comprenais. »
    Ce fut une sorte de prodige. Le jeune homme raconta qu’il avait été vendu comme esclave à Athènes, dans son enfance, et qu’il était donc possible qu’il fût le fils d’un de ces individus. L’oubli avait enseveli sa langue maternelle dans son esprit pendant des années, puis sa mémoire s’était brusquement réveillée au contact de ses origines.
    Plus loin, il fallut encore conquérir une crête sur laquelle étaient alignés des soldats, les Colques, le peuple de la Toison d’or !
    J’explorais un univers merveilleux où la vérité et le mythe ne cessaient de se confondre, où des paysages réels se changeaient en visions fantastiques.
    Xéno prit la tête de ses guerriers et les mena à l’attaque du dernier col, il longea les colonnes en

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