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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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une histoire de notre expédition, et j’aurais aimé savoir ce qu’il racontait.
    Les blessés, les malades, les plus âgés et toutes les femmes prirent le large. Oui, les filles s’en allaient par mer, les filles qui avaient encouragé les guerriers au gué de la rivière tourbillonnante, comme des champions du stade, afin qu’ils atteignent la rive avant les Arméniens, les filles qui les avaient étreints au retour des batailles, qui avaient soigné et pansé leurs blessures, qui les avaient réconfortés lorsqu’ils étaient en proie à la fatigue et au découragement, les filles qui les avaient embrassés et aimés quand le jour qui se levait risquait d’être le dernier, les filles qui les avaient accompagnés jusqu’au seuil du néant, qui avaient pleuré les morts sur le bûcher funèbre, telles des épouses, des sœurs, des mères.
    Elles s’en allèrent.
    Je restai auprès de Xéno. Et Mélissa resta auprès de Cléanor, tout comme les vingt ou trente compagnes des officiers. Nous reprîmes notre marche le long de la côte. Pendant un certain temps, nous vîmes les bateaux naviguer de conserve, et j’eus même l’impression d’apercevoir nos amies qui agitaient des étoffes colorées et des foulards. J’avais le cœur serré et je fondis en larmes. Je songeais à Lystra, au jour glacial où elle avait essayé d’accoucher, au désespoir et à la solitude qui s’étaient ensuite emparés de moi. À la mort qui avait réclamé son tribut, une pauvre esclave et un enfant qui ne naîtrait jamais. Et dans le soleil qui, jetant sur les vagues mille éclats, m’aveuglait, je repensais à la mystérieuse divinité qui m’avait soulevée dans la tempête et qui m’avait conduite au campement sur son cheval ailé afin qu’on m’y trouvât. Peut-être avait-elle des traits de neige, et peut-être ceux-ci avaient-ils fondu avec le retour du printemps, peut-être son âme brillait-elle à présent dans les reflets infinis des torrents qui dévalaient les pentes et plongeaient dans la mer.
    Au bout de plusieurs jours de marche, nous atteignîmes une ville importante. Vint alors le moment amer et longuement repoussé de compter les rescapés – officiellement, afin de connaître le nombre de bouches à nourrir. L’armée fut alignée et les officiers commandant chaque régiment firent l’appel à haute voix. Les survivants criaient : « Présent ! », quand leur nom retentissait, et les silences se multipliaient. Ainsi que le voulait la tradition militaire, l’officier répétait le nom, tout en sachant qu’il appelait un défunt, et passait au suivant après un autre silence. Peu à peu, les visages s’assombrissaient, car à chaque silence correspondaient un camarade, un ami, un frère disparus, des images de sang et de souffrance.
    Ceux qu’on appelait les Dix Mille, me souvins-je alors, se comptaient au début au nombre de treize mille. Huit mille six cents voix répondirent à l’appel. Plus de quatre mille soldats étaient morts de froid, de faim, de blessures.
    On répartit aussi le butin qui avait été réuni au cours de l’expédition. Après avoir prélevé la dîme pour les dieux, on partagea la somme en fonction du rang de chacun, entre les généraux, les chefs de bataillon et les soldats.
    Sophos refusa ce qui lui revenait et le laissa à son aide de camp, Néon, originaire de la ville d’Asiné. Ce geste suscita chez Xéno surprise et tristesse. Le général en chef lui avait dit qu’il ne regagnerait jamais Sparte, et il agissait en conséquence.
    Après avoir quitté la ville, nous arrivâmes aux confins d’un pays sauvage dans lequel s’affrontaient deux factions. Nous nous alliâmes avec celle qui ne s’opposait pas à notre passage et attaquâmes l’autre. Ces peuplades se définissaient dans leur langue « habitants de tours », parce que leurs chefs vivaient dans des tours de bois qui dominaient les centres habités.
    Ce fut une bataille sanglante qui fit de nombreux morts, mais les nôtres l’emportèrent une fois encore. Quand ils s’alignaient aux ordres de leurs chefs, quand ils élevaient un mur de leurs boucliers, quand ils poussaient leur redoutable cri de guerre, personne ne pouvait leur résister, personne ne pouvait soutenir la vue de leurs rangs qui avançaient, bien soudés, au son des flûtes et des tambours. Après la victoire, nos alliés nous montrèrent leurs villages et leurs maisons, ainsi que leurs enfants, des créatures

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