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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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donc par la mer, vers l’ouest, jusqu’à une cité que les Grecs avaient dédiée à leur héros le plus grand, Héraclès. Cette cité se nommait en effet Héraclée, et les autorités nous accueillirent amicalement. Elles nous fournirent de la farine, du vin et du bétail, mais pas en suffisance. On proposa de leur demander une quantité d’argent, pensant qu’elles n’oseraient pas refuser face à la puissance de l’armée. Sophos s’indigna : « Nous ne pouvons rançonner une ville dont les habitants, des Grecs, nous ont offert spontanément ce qu’ils pouvaient. Il faut trouver une autre solution. » Il ne fut pas écouté. Un groupe d’officiers, dont Agasias, un des héros de l’armée qui s’était distingué dans bon nombre d’actions téméraires, présenta la demande injuste d’une énorme somme en or. Pour toute réponse, les habitants amassèrent leurs récoltes, fermèrent leurs portes et placèrent des sentinelles armées sur les remparts.
    Le mécontentement éclata parmi les nôtres. Maintenant qu’on ne courait plus de danger, les rivalités, les jalousies et les forces de division s’exacerbaient. Personne ne comprenait que la menace la plus terrible planait encore. Ayant accusé les généraux d’incapacité, les groupes ethniques les plus nombreux, les Arcadiens et les Achéens, qui comptaient plus de quatre mille hommes, décidèrent de partir de leur côté. Cléanor était lui aussi arcadien : il s’en alla en emmenant Mélissa. Nous nous embrassâmes en larmes car nous pensions que nous ne nous reverrions plus.
    L’armée était scindée en deux.
    Xéno et Sophos en furent consternés. L’unité avait constitué jusqu’alors la valeur suprême, qu’il importait de préserver à tout prix.
    Xéno décida de réunir les hommes qui lui étaient fidèles et de suivre avec eux le contingent le plus nombreux, afin d’éviter la dispersion des troupes. Il pensait que Sophos l’imiterait, mais il se trompait.
    Il apprit que son aide de camp, ce Néon à qui Sophos avait laissé sa part de butin, lui avait fait une proposition. Le gouverneur Spartiate de la cité grecque la plus importante d’Orient, Byzance, responsable des relations avec l’empire du Grand Roi, était au courant de notre présence et avait offert d’envoyer des navires si Sophos et ses hommes se montraient au port suivant.
    Sophos tomba dans un profond abattement, non parce qu’il voyait la fin s’approcher inexorablement, mais parce que c’était son aide de camp et l’homme auquel il avait légué ses biens qui, en lui transmettant cette proposition, le poussait dans les bras de ses bourreaux.
    Oui, ils voulaient supprimer le général Sophos, le seul officier de l’armée régulière de Sparte, le héros qui avait guidé l’armée à travers mille dangers, le seul à connaître l’implication de sa patrie dans la tentative de détrôner et d’assassiner le Grand Roi, son allié le plus puissant, l’homme qui était censé mourir et disparaître avec l’armée et qui avait décidé de désobéir face au courage désespéré de ses troupes, qui les avait ramenées tout en sachant qu’il signait ainsi sa propre condamnation à mort.
    Peut-être songea-t-il que tout était désormais inutile, que le dénommé Dexippe qui avait fui Trapézonte à bord d’un navire n’avait pas agi par hasard, qu’il était allé rapporter aux Spartiates que l’armée condamnée à disparaître rentrait. Il accepta, persuadé de devoir aller au-devant de son destin.
    Personne n’assista à l’entretien de Néon et de Sophos. Pour ma part, je l’imaginai, j’imaginai le regard de Sophos alors que Néon le priait de partir, j’imaginai ses répliques amères et moqueuses qui m’étaient si familières, et je pleurai. Je n’avais pas oublié qu’il m’avait sauvé la vie le jour où Cyrus avait affronté l’armée du Grand Roi aux portes de Babylone, sur les rives de l’Euphrate.
    Xéno le vit, la veille de son départ, dans une auberge du port.
    « Alors, tu t’en vas.
    — À ce qu’il paraît.
    — Pourquoi ? En nous unissant, toi et moi, nous pourrions encore accomplir de grandes entreprises. »
    Sophos grimaça. « Qui te l’a dit ? Un de tes devins ? C’est le verdict que tu as lu dans les entrailles d’une brebis ?
    — Non, général, si nous le voulions, je suis persuadé que nous pourrions…
    — … fonder une colonie ? Ton rêve a la peau dure, n’est-ce pas,

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