L'armée perdue
à Ménon de Thessalie.
Les villages de la Ceinture, également dits « villages de Parysatis ». Quelle rencontre que la nôtre ! Au cours des jours et des mois suivants, je demandai à plusieurs reprises à Xéno comment il avait vécu ce moment, ce qui l’avait frappé en moi, ce qu’il pensait que nous ferions ensemble, en dehors de l’amour. Sa réponse me fascinait et me bouleversait chaque fois. Il n’y avait pas réfléchi, lui non plus, n’avait pas songé aux conséquences de notre fuite. Peut-être parce que j’étais une Barbare, et qu’il aurait toujours la possibilité de me vendre au premier marché d’esclaves venu, le jour où il se lasserait de moi, ou de me céder a un compagnon, ou encore – c’est ce que j’aimais croire – parce que la passion et le désir ne lui avaient pas laissé de choix. Mais il ne l’admettait pas volontiers.
Il me fallait déchiffrer son regard, interpréter ses caresses, donner une signification à ses petits présents.
Je les prenais pour des preuves d’amour. Les Grecs ont un raisonnement complexe dans ce domaine : ils se marient et fréquentent le lit de leur épouse jusqu’à ce qu’elle mette au monde un garçon, puis ils se sentent libres de toute obligation. Voilà pourquoi je considérais comme un signe d’attachement le fait que nous faisions l’amour si souvent. Et il veillait à ce que des enfants ne naissent pas de notre union. En effet, nous avions à affronter une terrible épreuve, une épreuve qui briserait des hommes au caractère bien trempé. Il agissait selon moi par amour.
Il m’arrivait souvent de penser à mon village, à mes amies du puits, à ma mère, à ses mains durcies par un travail incessant. Mon cœur me soufflait que je ne la reverrais plus, mais je me disais, peut-être pour me leurrer, que le cœur se trompe parfois.
Au-delà des villages de Parysatis s’étendait la Syrie, mon pays, et, tout le temps que dura sa traversée, les couleurs de la terre ensoleillée, la saveur du pain, le parfum des fleurs sauvages et des herbes aromatiques me donnèrent le sentiment d’être chez moi. Avec le temps, les paysages changèrent, et je compris que nous pénétrions dans un monde différent. On commença à entrevoir des animaux sauvages : des gazelles et des autruches, qui nous lançaient des regards intrigués. Les autruches mâles, dotées de magnifiques plumes noires, surveillaient attentivement le groupe des femelles. Les Grecs appellent ces volatiles « oiseaux-chameaux » en raison de leur dos rond semblable à la bosse des chameaux. Les soldats, à l’exception de ceux d’entre eux, fort rares, qui étaient allés en Égypte, n’en avaient jamais vus, et ils marchaient en les montrant du doigt, ou s’arrêtaient pour mieux les observer.
Je découvris que la chasse était la grande passion de Xéno. À la vue des autruches, il bondit sur son cheval et, armé d’un arc et de flèches, s’approcha d’un gros mâle. Mais celui-ci s’enfuit à une vitesse telle que la monture de Xéno fut non seulement incapable de gagner du terrain, mais qu’elle se fit aussi distancer. Les guides asiatiques affirmèrent que cet animal, en apparence timide et inoffensif, était en réalité très dangereux, qu’il pouvait enfoncer le thorax d’un homme d’un seul coup de griffe.
Xéno ne revint pas bredouille de sa chevauchée : il rapporta un œuf d’autruche aussi grand que dix œufs de poule. Je me rappelai alors qu’un marchand de la côte s’était présenté un jour dans notre village pour y vendre des étoffes et de modestes ornements : il avait étalé toutes ses merveilles par terre afin d’attirer l’attention des habitants, exposant un œuf d’autruche merveilleusement peint. Mais personne ne possédait d’objet assez prestigieux à troquer contre cet œuf aussi inutile que fascinant.
Celui que rapportait Xéno avait été pondu récemment. Salé, épicé, cuit et accompagné de pain, il constitua un dîner savoureux. Xéno en envoya une portion à Cyrus et reçut de lui des remerciements.
Le lendemain, nous rencontrâmes un petit groupe d’onagres, des ânes sauvages, que Xéno chassa également, mais sans succès. Son magnifique destrier, qui répondait au nom de Halys, rentra humilié de sa course avec ces animaux disgracieux et hirsutes.
À ses compagnons, qui se moquaient de son échec, Xéno affirma qu’il en capturerait un le lendemain. Il réclama deux ou trois volontaires à
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