L'armée perdue
ne s’y hasarderont donc plus. Ils entendent nous ralentir en multipliant le nombre de blessés et d’invalides, nous empêcher de manger et de boire. S’ils nous empêchaient aussi de dormir, ce qui ne serait pas difficile, nous ne pourrions survivre que trois ou quatre jours. Par chance, cette idée ne leur est pas venue à l’esprit.
— Bien, intervint Sophos. Quel est ton plan ?
— Pour agir, nous ne disposons que de la nuit.
— Tu veux les attaquer ? Je ne crois pas que ce soit possible, l’interrompit Xanthi. Ils ont sûrement des sentinelles ! Nous ne pourrons jamais les approcher.
— Je compte les distancer. Écoutez, ce sera demain ou jamais. Vous avez sans doute remarqué qu’un groupe de cavaliers nous observe à deux ou trois cents pas de distance. Ils attendent que nous ayons planté nos tentes puis disparaissent. Une fois certains que nous bivouaquons, ils vont dire à leurs chefs qu’ils peuvent dormir tranquilles. Nous feindrons d’établir notre campement, nous allumerons des feux pour qu’ils croient que nous préparons le dîner, et quand ils auront filé nous nous remettrons en marche. Nous déposerons nos armes sur les chariots afin d’avancer plus vite et banderons les sabots des mulets pour qu’ils ne fassent pas de bruit. Nous mangerons et boirons en route, n’observerons que quelques arrêts, de quoi récupérer un peu de forces, c’est tout. Quelques sommes, protégés par des rondes incessantes. »
Les généraux l’écoutaient attentivement. L’écrivain, qui l’eût cru ! Ce jeune Athénien semblait connaître son fait. J’aurais pu leur dire pourquoi : Xéno m’avait raconté à plusieurs reprises comment son maître lui avait enseigné à raisonner et à tirer profit de son expérience.
« J’ai écouté nos attaquants thraces, poursuivit-il. Lorsqu’ils conduisent leurs troupeaux des pâturages de montagne à ceux de la plaine, ils s’arrêtent le moins possible afin d’échapper aux attaques des autres tribus et aux vols de bétail. Ils dorment peu et fréquemment, parfois debout, appuyés contre un arbre. Le corps s’y habitue. Bien que bref, le sommeil est plus profond et détend complètement les membres.
« Nous continuerons notre route le lendemain et la nuit suivante afin que les Perses croient que nous avons pris un autre itinéraire et s’éparpillent à notre recherche. Pendant ce temps, nous aurons atteint le pied des montagnes, où la cavalerie perse aura moins de liberté de mouvements. Nous déciderons alors de la suite des événements. »
Sophos approuva ce plan : « Tes idées me semblent bonnes. Espérons que tout se passera bien. En vérité, nous n’avons pas le choix. Les Perses ont manifesté clairement leurs intentions. Ni Artaxerxès ni Tissapherne ne veulent que nous atteignions la mer et racontions qu’il est possible d’arriver jusqu’à Babylone sans pertes. »
Ainsi ce n’était pas seulement une affaire de vengeance. Il fallait empêcher que se répandît une information vitale pour la sécurité de l’Empire.
Sophos se tourna vers les autres généraux : « Vous distribuerez ces instructions de régiment en régiment. Chaque unité de combat organisera les rondes et les temps de repos. Je signalerai les arrêts par un ordre qui sera transmis oralement.
— Ce n’est pas tout, reprit Xéno. Nous avons besoin d’un détachement de cavalerie. Il n’arrêtera pas les Perses – c’est impossible –, mais il les surveillera de près, comme au cours de la dernière bataille. Il pourra aussi partir en reconnaissance pour trouver les passages les plus appropriés.
— Et où trouverons-nous des chevaux ? interrogea Timasion.
— Nous les détellerons », répondit Xéno.
Je laissai tomber ma cruche : cela signifiait qu’il faudrait renoncer à nos chariots.
« De toute façon, nous serons obligés de nous défaire des véhicules avant d’affronter les montagnes. »
Je pensai aux pieds de Mélissa, aux miens aussi, et j’eus la gorge nouée. Comment tenir le rythme ? Et la fille enceinte dont j’avais fait la connaissance ? Que deviendrait-elle ? Que deviendraient toutes celles qui étaient dans le même état ? Sophos avait promis de n’abandonner personne, mais il parlait des guerriers dont il avait besoin. Je craignais qu’il ne prît pas les femmes en considération. Je devrai donc maintenant affronter les conséquences de ma fuite avec Xéno.
Sophos avait changé
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