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L'armée perdue

L'armée perdue

Titel: L'armée perdue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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depuis qu’il était sorti de l’ombre. Il avait repris le rôle de Cléarque sans aucune difficulté, avait été élu par l’assemblée des guerriers sans rencontrer la moindre opposition. Il avait imposé sa présence, le timbre de sa voix, la lumière de ses yeux, l’attitude d’un homme qui sait ce qu’il veut. Les hommes avaient tous été conquis et ils s’accordaient instinctivement avec sa personnalité. Au moment de partir, il posa la main sur l’épaule de Xéno et lui dit : « Voilà ce qui nous manquait : un prestidigitateur, capable de faire disparaître une armée entière comme ça ! » Et il claqua les doigts.
    Il avait également le sens de l’humour.
    « Tu y es parvenu, toi aussi, général, rétorqua Xéno, quand tu as caché nos guerriers dans l’herbe sèche près du ravin. »
    Les autres éclatèrent de rire, d’un rire arrogant et méprisant qui n’en finissait plus.
    « Je revois encore leurs têtes quand nous nous sommes dressés, nos boucliers au poing ! s’exclama Xanthi, l’Achéen aux longs cheveux et au cou de taureau.
    — L’air de ceux qui regardent la mort en face ! renchérit Agasias, à la peau, à la chevelure et au regard sombres.
    — Et qui savent qu’ils ont perdu ! ajouta Timasion de Dardanos, au teint olivâtre, à la barbe courte et au corps mince de limier.
    — S’ils croient qu’ils nous tiennent dans leur poing, ils se trompent ! » conclut Cléanor, qui semblait fixer nos ennemis de ses yeux gris de faucon. Nerveux, musclé, planté sur des cuisses aussi grosses que des colonnes, il paraissait impatient de montrer ce qu’il valait. « S’ils veulent nous avoir, il faudra qu’ils viennent nous chercher, et pour y parvenir, ils devront descendre de cheval. »
    Ils sortirent en ricanant et leurs voix s’atténuèrent bientôt dans le noir.
    Xéno se lava et se coucha sur notre natte. Je m’allongeai à côté de lui. Nous fîmes l’amour avec plus de fougue que de coutume. Bien que nous fussions en danger, traqués, poursuivis sans trêve, Xéno était au comble de l’excitation et de l’énergie. Lui, l’écrivain qui s’était attiré tant de sarcasmes pendant la longue marche, était maintenant l’un des seuls à élaborer des plans destinés à sauver les Dix Mille de la mort. Il en avait aussi le courage. Quand il se fut étendu, les yeux mi-clos, je lui pris la main et lui posai une question qui me tourmentait : « Les Perses entendent vous anéantir, mais crois-tu que quelqu’un, dans ton pays, souhaite le retour de l’armée ?
    — Qu’est-ce que cela signifie ?
    — Je l’ignore. C’est une intuition, une sensation. J’aimerais toutefois que tu me répondes. »
    La réponse de Xéno consista en un long silence.
    « Si tu ne veux pas parler, peu importe.
    — Cette armée est entièrement composée de mercenaires…
    — Je le sais.
    — À deux exceptions près.
    — Sophos…
    — Oui.
    — Et toi. Cette expédition a été organisée en grand secret. Et je ne vois pas pourquoi on pourrait divulguer à présent ce qu’on taisait avant. Qui est Sophos ?
    — Un officier de l’armée Spartiate. Probablement de très haut rang.
    — Puis-je te demander comment tu le sais ? Te l’a-t-il dit lui-même ?
    — Il porte au poignet gauche un bracelet en jonc. Son nom et le numéro du régiment qu’il commande sont inscrits à l’intérieur. Les soldats ordinaires le portent au poignet droit. C’est un usage dans l’armée de Sparte. Quand un homme tombe sur le champ de bataille et que ses camarades l’y laissent, il arrive que les ennemis le dépouillent de tout ce qu’il a de précieux. Mais un bracelet de jonc ne vaut rien, raison pour laquelle ils n’y touchent pas. À l’intérieur de ce bracelet, on peut lire Cheirisophos. »
    J’essayai en vain de prononcer ce prénom interminable. « Je crois que je continuerai à l’appeler Sophos… Quel rôle joue-t-il ? Pourquoi a-t-il surgi ainsi, du jour au lendemain ?
    — Je ne le sais pas.
    — Penses-tu qu’il te le dira ?
    — Non.
    — Aurons-nous la vie sauve ?
    — Je le souhaite de toutes mes forces, mais il est difficile pour l’homme de dévier son destin une fois que les Moires l’ont filé. »
    Je fus effrayée, même si j’ignorais tout de ces Moires qui filent le destin des êtres humains. Dans nos villages aussi on parlait de femmes aux longs cheveux noirs, vêtues de noir, aux profonds cernes noirs,

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