L'art de la Guerre (Les Treize Articles)
présence d'embuscades invisibles.
Si vous apprenez que, dans le camp des
ennemis, il y a des festins continuels, qu'on y boit et qu'on y
mange avec fracas, soyez-en bien aise ; c'est une preuve
infaillible que leurs généraux n'ont point d'autorité.
Si leurs étendards changent souvent de place,
c'est une preuve qu'ils ne savent à quoi se déterminer, et que le
désordre règne parmi eux. Si les soldats se groupent
continuellement, et chuchotent entre eux, c'est que le général a
perdu la confiance de son armée.
L'excès de récompenses et de punitions montre
que le commandement est au bout de ses ressources, et dans une
grande détresse ; si l'armée va même jusqu'à se saborder et
briser ses marmites, c'est la preuve qu'elle est aux abois et
qu'elle se battra jusqu'à la mort.
Si leurs officiers subalternes sont inquiets,
mécontents et qu'ils se fâchent pour la moindre chose, c'est une
preuve qu'ils sont ennuyés ou accablés sous le poids d'une fatigue
inutile.
Si dans différents quartiers de leur camp on
tue furtivement des chevaux, dont on permette ensuite de manger la
chair, c'est une preuve que leurs provisions sont sur la fin.
Telles sont les attentions que vous devez à
toutes les démarches que peuvent faire les ennemis. Une telle
minutie dans les détails peut vous paraître superflue, mais mon
dessein est de vous prévenir sur tout, et de vous convaincre que
rien de tout ce qui peut contribuer à vous faire triompher n'est
petit. L'expérience me l'a appris, elle vous l'apprendra de
même ; je souhaite que ce ne soit pas à vos dépens.
Encore une fois, éclairez toutes les démarches
de l'ennemi, quelles qu'elles puissent être ; mais veillez
aussi sur vos propres troupes, ayez l'œil à tout, sachez tout,
empêchez les vols et les brigandages, la débauche et l'ivrognerie,
les mécontentements et les cabales, la paresse et l'oisiveté. Sans
qu'il soit nécessaire qu'on vous en instruise, vous pourrez
connaître par vous-même ceux de vos gens qui seront dans le cas, et
voici comment.
Si quelques-uns de vos soldats, lorsqu'ils
changent de poste ou de quartier, ont laissé tomber quelque chose,
quoique de petite valeur, et qu'ils n'aient pas voulu se donner la
peine de la ramasser ; s'ils ont oublié quelque ustensile dans
leur première station, et qu'ils ne le réclament point, concluez
que ce sont des voleurs, punissez-les comme tels.
Si dans votre armée on a des entretiens
secrets, si l'on y parle souvent à l'oreille ou à voix basse, s'il
y a des choses qu'on n'ose dire qu'à demi-mot, concluez que la peur
s'est glissée parmi vos gens, que le mécontentement va suivre, et
que les cabales ne tarderont pas à se former : hâtez-vous d'y
mettre ordre.
Si vos troupes paraissent pauvres, et qu'elles
manquent quelquefois d'un certain petit nécessaire ; outre la
solde ordinaire, faites-leur distribuer quelque somme d'argent,
mais gardez-vous bien d'être trop libéral, l'abondance d'argent est
souvent plus funeste qu'elle n'est avantageuse, et plus
préjudiciable qu'utile ; par l'abus qu'on en fait, elle est la
source de la corruption des cœurs et la mère de tous les vices.
Si vos soldats, d'audacieux qu'ils étaient
auparavant, deviennent timides et craintifs, si chez eux la
faiblesse a pris la place de la force, la bassesse, celle de la
magnanimité, soyez sûr que leur cœur est gâté ; cherchez la
cause de leur dépravation et tranchez-la jusqu'à la racine.
Si, sous divers prétextes, quelques-uns vous
demandent leur congé, c'est qu'ils n'ont pas envie de combattre, ne
les refusez pas tous ; mais, en l'accordant à plusieurs, que
ce soit à des conditions honteuses.
S'ils viennent en troupe vous demander justice
d'un ton mutin et colère, écoutez leurs raisons, ayez-y
égard ; mais, en leur donnant satisfaction d'un côté,
punissez-les très sévèrement de l'autre.
Si, lorsque vous aurez fait appeler quelqu'un,
il n'obéit pas promptement, s'il est longtemps à se rendre à vos
ordres, et si, après que vous aurez fini de lui signifier vos
volontés, il ne se retire pas, défiez-vous, soyez sur vos
gardes.
En un mot, la conduite des troupes demande des
attentions continuelles de la part d'un général. Sans quitter de
vue l'armée des ennemis, il faut sans cesse éclairer la
vôtre ; sachez lorsque le nombre des ennemis augmentera, soyez
informé de la mort ou de la désertion du moindre de vos
soldats.
Si l'armée ennemie est inférieure à la
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