L'Art Médiéval
ans la raide arabesque de Byzance,
ses plates bêtes symboliques, ses roues, ses croix à branches
évasées, ses bas-reliefs en buissons d’épines, l’envahissement
serré d’un art ornemental monotone et systématique. Monotone et
systématique, ce qui est la marque évidente de la persistance du
génie grec, acculé par l’intelligence à formuler une harmonie qui
fuit le cœur de l’artiste pour habiter l’esprit des théoriciens.
Mais d’ornementation serrée, ce qui est la marque évidente de la
persistance du génie asiatique romanisé, acculé par la sensualité à
exprimer une richesse d’impressions que l’esprit des théoriciens ne
peut arracher du cœur de l’artiste. La surabondante saveur du décor
romain fusionne, dans un ensemble raide et morne, mais
impressionnant, avec la faculté d’équilibrer et de choisir qui
caractérisait le décor grec. Les marchands de Byzance inondèrent le
monde d’ivoires travaillés, d’orfèvreries incrustées d’émaux et de
perles, d’étoffes d’or, de châsses d’or à cabochons de gemmes,
d’une profusion d’objets de culte par qui la dure patience des
ciseleurs et des lapidaires réussit à vaincre la passivité morale
des barbares, à entretenir partout un semblant de tradition, à
répandre inconsciemment dans les sensibilités nouvelles ce qui
restait de l’effort de Rome et d’Athènes, et à établir une
transition imprécise et flottante, mais réelle entre l’Europe et
l’Asie, l’esprit antique et l’esprit médiéval.
Quand l’énergie ascensionnelle est épuisée,
quand un groupe social et politique devient l’immobile centre de
gravitation d’un monde, il est historiquement nécessaire que la
révolution ou l’invasion le renouvelle ou le détruise. Tout le sang
sué par le Moyen Âge, tout l’or qu’il avait amassé, étouffaient
Constantinople. Son rôle était fini. D’autres foyers s’allumaient.
L’Islam approchait du faîte. Les Croisades, depuis la fin du
XI e siècle, jetaient, par torrents troubles, l’Europe
sur l’Orient. Les barbares de l’Ouest se ruent sur les villes
fabuleuses de l’Est comme le barbare du Nord avait marché sur Rome.
Cent ans après avoir pillé Jérusalem, ville infidèle, les Francs
pillaient Byzance, ville chrétienne. L’Europe abat le rempart qui
la garde contre l’Asie.
Il y eut bien, au XIV e siècle,
après la chute de l’Empire franc, un dernier sursaut qui répandit
l’art de Constantinople sur la Roumanie, la Serbie et la Macédoine.
La mosaïque se fit plus vivante et mouvementée, le monde remuait,
l’Italie giottesque, après avoir subi Byzance, atteignait Byzance à
son tour.
La grande peinture allait sortir de la
confusion primitive, peut-être, et préparer, comme à la même heure
en Occident, le règne de l’individu. Mais ici, l’effort avait été
trop souvent brisé, et trop long, le rythme grec qui prolongeait
son écho dans d’autres contrées, cédait devant l’Asie qui refluait
de partout. Il était trop tard. Même si les Turcs n’avaient pas
pris Constantinople, on s’en serait aperçu. Manuel Panselinos qui
couvrira de fresques, vers le commencement du XVI e siècle, les couvents du Mont Athos, semble complètement, trop
complètement même, italianisé. Et vers la fin du même siècle,
Théotocopuli fuit son île grecque, ne laissant derrière lui rien
que la lettre de Byzance et emportant dans la somptueuse enveloppe
de la peinture de Venise son esprit seul, sublimé par la flamme
d’un cœur unique et capable de féconder l’âme ombrageuse et
solitaire de l’Espagne d’un seul coup. Il était trop tard. En
réalité, quand Mahomet II planta sur la Corne d’Or l’étendard
du prophète et installa l’Islam dans Sainte-Sophie, la crise
finissait et aucun événement n’eût pu en modifier l’issue. En
Palestine, en Égypte, en Sicile, en Tunisie, en Espagne, en France,
partout autour de la Méditerranée, les deux courants mystiques nés
du vieil idéal sémite se heurtaient depuis trois cents ans, se
repoussant sur quelques points, se mêlant sur d’autres et révélant
malgré eux et à leur insu les uns aux autres la ressemblance de
tous les hommes et l’unité de leur désir.
L’Islam
I
Quand leur confrontation dramatique s’ouvrit,
l’Islam, on doit le dire, apportait aux civilisations occidentales
des réalisations autrement vivantes que celles offertes jusqu’alors
par le christianisme aux civilisations
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